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Libération
Éditorial

Colère

publié le 19 février 2020 à 19h36

Le fait de brûler le code civil en public, comme l’ont fait certains avocats en colère, choquera légitimement. L’autodafé n’est guère civilisé et le code est en principe un livre intouchable pour la profession. Mais le geste en dit long sur le mécontentement inédit qui touche cette profession. La boîte de Pandore de la réforme des retraites a suscité dans les barreaux de France l’une de ses plaies les plus spectaculaires. Les avocats, contrairement à ce qu’on croit parfois, ne roulent pas sur l’or. A côté des stars des prétoires, d’une prospérité indiscutable, une foule d’avocats, plus jeunes ou plus modestes, perçoivent une rémunération très inférieure à ce que leurs diplômes leur procureraient dans d’autres branches. Il y a dans ce métier une grande part de vocation - de sacerdoce ? - qui se paie d’un niveau de vie souvent faible. A cela s’ajoute une charge de travail souvent très lourde, liée au fonctionnement lent et laborieux d’une justice impécunieuse. Du coup, la volonté de faire passer les avocats sous la toise du régime universel, qui est dans la logique de la réforme, est vécue comme une agression par cette corporation précieuse à tout justiciable. Le sacrifice demandé est inférieur à ce que disent les protestataires (une hausse réelle des contributions d’environ un tiers en moyenne, et non un doublement). Mais par l’effet d’un complexe mécanisme, elle touchera plus les avocats du bas de l’échelle que les pontes des cabinets parisiens. Aux robins, le gouvernement tient le langage inverse de Robin des Bois : il prend aux pauvres pour donner aux riches. Ce n’est pas le moindre motif de colère pour ces fantassins d’une justice équitable. Nicole Belloubet, qui n’est pas la plus habile des ministres, aura fort à faire pour que son plaidoyer apaise l’ire des plaignants.