Début de soirée chez les Frères Pinard, un bar à vins indépendant décoré comme un salon de thé scandinave, niché dans une rue semi-piétonne du chic Vieux-Lille. L'adresse cible une clientèle de jeunes actifs, plutôt classe moyenne supérieure. Parmi les touristes, les amis et les amoureux présents ce mardi soir, il y a peu de futurs électeurs lillois. Beaucoup vivent ou sortent à Lille mais votent ailleurs. Sur une table haute, près de l'entrée, Elise, médecin de 44 ans, devient l'exception. «Oui, oui, je vote ici et je sais déjà pour qui : ce sera Martine [Aubry] !»
Avec ses deux amies psychomotriciennes, elle partage une planche de charcuterie fine et un rejet du macronisme. «Je ne connais qu'un autre nom dans la campagne, celui de [Violette] Spillebout.» L'ancienne directrice de cabinet d'Aubry conduit la liste La République en marche. «Pour moi c'est rédhibitoire. Même si le socialisme n'existe plus, ce sont toujours mes valeurs», enchaîne Elise. Mère de deux enfants âgés de 12 et 9 ans, elle se réjouit de la richesse des activités extrascolaires. Ses copines, Cécilia, 28 ans, et Claire, 31 ans, ont quitté Paris pour Lille, depuis huit mois pour la première, et trois ans pour la seconde. Elles n'ont pas fait les démarches pour voter à Lille mais adhèrent au choix Aubry de leur amie. Ici, elles ont plus que doublé leur surface habitable et profitent d'un coût de la vie moins cher que dans la capitale. Elles disent avoir conscience que leur arrivée puisse participer à la gentrification de la ville, mais les deux trentenaires ne repartiraient à Paris pour «rien au monde».
«Je trouve que c'est une ville accessible même aux revenus modestes. Il y a plein d'événements gratuits tout le temps. Il y en a pour tout le monde, avec ou sans enfants. [Le festival] Mange Lille, Saint-Sauveur, c'est génial», s'enthousiasme Claire. «On a une qualité de vie ici qui n'a rien à voir. Est-ce que ça tient à Martine ou pas ?» s'interroge Cécilia. «Sûrement, elle tient la ville depuis longtemps», enchaîne Claire. Vingt-cinq ans au pouvoir municipal.
Les trois copines apprécient d'avoir moins de voitures en ville et de pouvoir tout faire à pied, parlant des métros parisiens comme d'un vieux cauchemar à oublier. A ce sujet, Germain, l'un des deux associés à la tête du bar, entend encore parfois des réticences chez ses clients toujours attachés à leur automobile. Le patron de 35 ans considère que c'est le rôle d'une mairie d'imposer un changement des habitudes. Il inscrit son bar dans une démarche écolo, «du mieux qu'on peut». Le commerçant attend d'ailleurs de la prochaine équipe en place un meilleur accompagnement sur la gestion de ses déchets : «C'est ce qui va déterminer mon vote !»