Chaque lundi, retrouvez notre chronique «Roues cool», qui aborde le vélo comme moyen de déplacement, sans lion en peluche ni bob Cochonou.
Si ce n’est quelques vélos tracés à la peinture blanche sur le bas-côté des routes, Lunéville n’a pas grand-chose d’une ville cyclable. Admettons que la météo n’aide pas. Pluie fine sur fond d’air froid. Admettons aussi qu’on vient de Strasbourg et qu’on est un peu chauvin à ce niveau-là. Mais on a beau sillonner le centre-ville sous la grisaille, le cycliste se fait désirer comme un ado qui traîne des pieds. D’ailleurs c’est lui, l’ado, qui va changer la ville. C’est en tout cas le pari de la Communauté de communes du territoire de Lunéville et Baccarat (CCTLB), qui offre à chaque collégien et lycéen qui le souhaite un vélo et tout un package de services, pour effectuer ses trajets quotidiens. Et là, il faut bien le reconnaître, cette opération nommée «Vélo’s cool», lancée à la dernière rentrée scolaire, a de quoi faire pâlir d’envie.
Direction Jolivet, commune voisine, où la famille Bullier fait figure de pionnière. Tout a commencé par un coup de fil à la mère, Laurence. La collectivité veut savoir si ses trois enfants préfèrent le bus scolaire ou le vélo pour aller à l'école. Et c'est ainsi que la fratrie s'est mise en selle. Fin juin, ils étaient les premiers à se voir remettre les bécanes et tout l'attirail (casque, poncho de pluie, cadenas, gilet ou manchons réfléchissants) contre un chèque de caution de 75 euros et la signature d'une convention dans laquelle ils s'engagent à l'utiliser et à en faire «bon usage». Puis ils ont suivi deux journées de formation gratuite pendant les vacances, dispensée par l'association locale Vélo Lun', qui milite pour les déplacements doux. Au programme : code de la route, parcours balisés et sorties accompagnées en ville pour s'entraîner dans les conditions réelles. Dix heures obligatoires pour les CM2, 6e et 5e, facultatives pour les autres.
Gauthier, bénéficiaire de l’opération, à la sortie du lycée.
Photo Pascal Bastien pour Libération
Depuis, les Bullier goûtent une certaine liberté, parents compris. Le père ne les dépose plus le matin devant la grille du bahut. Chacun se débrouille. Le soir et le mercredi, fini de faire le taxi pour les activités extrascolaires des uns et des autres. Sauf pour emmener Aymeric, le benjamin, à ses cours de trombone : il a la jambe dans le plâtre, alors en ce moment, il retrouve les joies du ramassage scolaire. Quant à Louise, l'aînée, ancienne cycliste du dimanche, elle «fait tout à vélo» désormais, qu'il pleuve, neige, vente. «C'est devenu une habitude, dit-elle. Je n'attends plus l'heure du bus, qui ne passe que le soir, quand certains jours les cours terminent plus tôt ou qu'une prof est absente, je peux rentrer. Avant, j'avais trente minutes de bus et encore dix minutes à marcher pour rentrer à la maison. Avec le vélo, c'est tellement rapide, j'y suis en quinze minutes.» En classe de terminale, elle est «élève guide»,«on se donne rendez-vous sur le chemin et j'accompagne les enfants du village pour leur trajet, deux ou cinq selon les jours».
Dos droit
Les départs groupés sont aussi proposés par l’association d’insertion Ines Sois Mobile, chargée de la mise en œuvre du dispositif. Des mécaniciens suivent les jeunes et élaborent avec eux les itinéraires. Surtout, ils assurent un service de hotline. En cas de panne sur le chemin de l’école, ils s’engagent à intervenir dans les dix minutes. Ils foncent avec leur vélo électrique équipé d’une remorque type marchand de glaces à ouverture latérale pour effectuer les réparations sur place, à l’abri des intempéries. Outre les outils et les pièces, un vélo de rechange est installé à l’arrière, histoire de ne pas louper les cours en cas de gros pépin. Pour l’heure, chez Ines, on ne croule pas sous l’activité. Depuis la rentrée, ils ont été appelés trois fois : pour un changement de pédale, un rayon cassé et une crevaison. C’est que les vélos ont été spécialement conçus pour être increvables, même entre les mains d’ados. Les jeunes siégeant au conseil communautaire ont participé au développement du modèle fabriqué et assemblé par une entreprise sociale et solidaire de la région, Wheel’e, à Badonviller. Petite roue à l’avant, panier à l’arrière. On pédale dos droit. L’ensemble est assez massif, l’accent est mis sur la solidité et la sécurité avec un cadre en acier gris foncé. Les freins sont à tambour hydraulique, plus fiables qu’un système avec patins. Les vélos sont équipés de pneus basse pression pour éviter les crevaisons, les phares fonctionnent sur batterie pour un éclairage continu… Et ils sont évolutifs : les réglages permettent de l’adapter à l’ado qui grandit vite.
A lire aussiTous les épisodes de «Roues cool»
Les mécaniciens de la hotline passent une fois par semaine dans chacun des cinq établissements scolaires pour réviser les vélos pendant que les gamins sont en classe, ils graissent, resserrent, vérifient l’éclairage. L’association tient un tableau de suivi et s’assure que chaque vélo est vu tous les mois. Sinon, ils prennent rendez-vous, les mécanos viennent même à domicile.
Dans l'atelier qui se charge des reparations. Nicolas, technicien, vérifie un vélo.
Photo Pascal Bastien pour Libération
Actuellement, une soixantaine de jeunes roulent en Vélo's cool, la CCTLB espère qu'ils seront 400 à la rentrée prochaine, d'autant que les CM2 auront été formés cette année. Et d'ici deux ans, l'ensemble de cette tranche d'âge, répartie sur les 43 communes aura suivi ses dix heures de formation. «Les jeunes, trop souvent sédentaires, sont aussi d'excellents ambassadeurs en matière de développement durable. Il s'agit de donner envie de faire du vélo au reste de la famille, aux amis de se mettre au vélo et d'inciter les maires à réaliser des aménagements cyclistes de la voirie. On espère un effet d'entraînement», explique Laurent de Gouvion Saint-Cyr, président de la CCTLB. Il veut «planter une graine» dans l'espoir que «la culture vélo s'implante sur le territoire».
Tout bagnole
Au groupe scolaire Saint-Pierre Fourrier, qui va de la maternelle au baccalauréat, ils sont seulement six à utiliser un Vélo's cool (dont les trois ados Bullier). A 16h30, la cloche sonne, le tout bagnole bat encore son plein. Les voitures parentales chevauchent le trottoir, quand elles ne prennent pas la marmaille à la volée. Gauthier, le cadet de la famille, sort au milieu d'une poignée d'autres lycéens qui exécutent quelques figures avec leurs VTTs colorés sur la chaussée avant de filer. C'est pas le genre du Vélo's cool. Louise, la grande, se souvient pourtant qu'«ils avaient parlé d'un atelier customisation au moment du lancement».