Il est un paradoxe en Beaujolais : alors que le vote frontiste bat des records aux élections nationales dans ce terroir viticole du Rhône, il ne se traduit pas par une implantation locale marquée. Belleville-en-Beaujolais, à une demi-heure de Lyon, n’échappe pas à cette règle tordue. Depuis 1995, la famille Le Pen fait sensation au premier tour de chaque présidentielle dans cette commune de 13 000 habitants. Deux exceptions : 2007 et 2012, où les Bellevillois ont préféré miser sur Sarkozy, en chasse ouverte des électeurs d’extrême droite. Au second tour, la droite «de pouvoir» gagne toujours. Mais les scores frontistes sonnent comme un avertissement des habitants du cru.
Pourtant, aux municipales, il n’y aura pas de liste RN à Belleville, par manque de recrues. Ce n’est pas faute d’avoir essayé : dès le 18 octobre, le parti organisait un meeting dans la ville pour introniser sa tête de liste, Patrick Antoine, délégué local du RN. Les huiles avaient fait le déplacement pour poser à côté de leur poulain : le député européen Jordan Bardella, la conseillère régionale Agnès Marion, le responsable départemental Antoine Mellies, proche de Marion Maréchal.
Las, deux mois plus tard, Patrick Antoine a abandonné. A Belleville, les mauvaises langues disent qu'il n'est pas parvenu à réunir plus d'une demi-douzaine de colistiers. «Il y a d'abord un facteur général : la désaffection des gens pour l'engagement qui concerne tous les partis politiques. Et nous sommes en transition. Le nouveau clivage entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen n'a pas encore ruisselé dans tous les territoires», philosophe Antoine Mellies. Le trentenaire, patron de la fédération rhodanienne depuis cet été, reconnaît aussi avoir retenu les leçons de 2014.
Plus question de coller à tour de bras l'étiquette Bleu Marine sur n'importe qui : «On a souhaité mettre en place un profilage plus exigeant de nos candidats. Il faut aussi que ce soit de bons élus d'opposition : c'est un mandat très ingrat, qui demande une certaine endurance.»
Le Beaujolais reste bien une terre à prendre pour son camp. A condition de dépasser la seule logique contestataire, également généreuse à Belleville envers le Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan. Depuis le milieu des années 90, avec la crise de l'export du vin primeur, «l'angoisse des gens d'ici, ce n'est plus la grêle ou les intempéries, c'est le marché et l'étranger», explique Bernard Fialaire, le maire sortant UDI de Belleville : «Dans l'imaginaire des agriculteurs, ce sont les marchés qui les mènent en bateau, ils travaillent comme des fous pour même pas un smic, ils ne maîtrisent rien, donc ils en veulent à la terre entière.»