Al’aune de la vertigineuse pile des 35 000 amendements communistes et insoumis sur la réforme des retraites, la livraison du groupe socialiste (700 amendements) semble modeste. Mais son porte-parole, Boris Vallaud, donne un autre fil à retordre au gouvernement. Le député des Landes joue le coup d’après : la future saisine au Conseil constitutionnel. Ce qui consiste d’abord à poser le plus de colles possible aux marcheurs chargés de défendre l’architecture emberlificotée du futur système universel par points. Tout y passe, asséné d’un ton courtois mais inflexible : «Taux de rendement réel pour les salariés et les indépendants», «taux de remplacement au sein d’un même régime», «indicateurs liés aux objectifs de solidarité, de garantie de niveau de vie satisfaisant ou de lisibilité des droits»… Le profane s’y perd ? Normal. «Je le fais à dessein, le Conseil constitutionnel, lui, saura de quoi je parle», prévoit-il. Le parlementaire décrit la stratégie du PS comme une «instruction» censée lever les lièvres inconstitutionnels comme autant de «pièces à conviction» quand, une fois le texte adopté, il faudra s’en remettre aux «sages».
«Exactitude» Outre le recours massif aux ordonnances, les trous laissés dans le projet de loi et le flou des dispositions, Boris Vallaud a dans son viseur l'étude d'impact qui accompagne le projet de loi, jugée par l'opposition «truquée» et «tronquée». Depuis sa réception et l'avis sévère du Conseil d'Etat, «on s'est dit qu'il y avait un sujet donc on soulève tout». Pour continuer de mettre en pièces le fameux document, les socialistes ont demandé la création d'une commission d'enquête afin d'en vérifier «la sincérité, l'exhaustivité et l'exactitude». Vallaud doit en être le rapporteur, poste qui lui confère des pouvoirs d'investigation «sur pièce et sur place». Plusieurs fois déjà, l'ancien secrétaire général adjoint de l'Elysée a dégoté, dans le touffu règlement intérieur, une clé juridique pouvant dérouter les macronistes. Comme pour décrocher un poste de rapporteur pour avis - rarement demandé - sur les ordonnances travail en 2017 ou forcer LREM à créer une commission d'enquête sur l'affaire Benalla. «On met des cailloux dans leurs chaussures», se targue le quadra, ambitieux et sûr de lui, qui prend toutefois soin de vanter un jeu collectif.
Souvent, il conclut son interrogatoire en exigeant que «le Parlement soit éclairé». Un rapporteur qui sèche, une question laissée sans réponse ? Le sniper prend note et cisèle, l'air contrarié, une formule assassine : «Ce sont des éclairages basse tension, c'est vraiment très tamisé.» «S'ils n'ont pas de réponse, soit ils planquent un truc soit ils ne savent pas : dans tous les cas, ce n'est pas rassurant.» Volontiers technique, il ne rechigne pas au coup de sang, sur l'«immense honte» des pensions de retraite des agriculteurs ou pour riposter au questeur Florian Bachelier (LREM) qui invoquait le coût d'une journée d'«obstruction». Lui renvoie à la macronie la gestion de cette réforme qui «devrait être enseignée comme exemple de crash industriel dans les futures écoles d'administration». Foi d'ancien de l'ENA - même promo qu'Emmanuel Macron -, passé par le cabinet d'Arnaud Montebourg, l'ex-ministre de l'Economie qui lui a appris «la pugnacité et la double lame du verbe et du droit», puis par l'Elysée avant d'être élu pour la première fois en 2017 dans l'ancienne circonscription d'Henri Emmanuelli.
Un CV que se plaisent à lui renvoyer ses adversaires. «Il est d'une mauvaise foi hallucinante. Il vient nous donner des leçons, il devrait plutôt rendre des comptes», s'agace Cendra Motin (LREM), taclant «l'incarnation de l'énarque suffisant et hautain qui oublie de balayer devant sa porte».
«Entourloupes» Paul Christophe, autre rapporteur (UDI-Agir), reconnaît aux socialistes «une stratégie plus soft en termes d'agressivité : mais il n'a que le Conseil constitutionnel à la bouche. Ça tourne aussi en rond». «Quand il prend la parole, je me fais un plaisir de lui rappeler la loi [travail] El Khomri de 2016, ça l'énerve beaucoup…» s'amuse un député LREM.
Ses collègues de gauche saluent chez Boris Vallaud «une justesse et une technique que nous n'avons pas», admet le communiste Fabien Roussel. «C'est un homme de dossier capable de dénicher les entourloupes de la majorité», selon Clémentine Autain. «On se complète», poursuit l'élue LFI. Un autre insoumis, dubitatif, n'a pas digéré le refus du Parti socialiste de déposer, d'entrée de jeu, avec les autres groupes de gauche une motion de censure. Et «attend toujours leur signature».