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Libération
Municipales 2020

A Paris, l’ombre de Delanoë plane sur la campagne d’Hidalgo

Si l’ancien maire reste loin de la bataille, les candidats ne manquent pas de le citer comme modèle d’alternance et de rassemblement… à l’inverse de sa successeure.
Anne Hidalgo et Bertrand Delanoë en janvier 2014. (Photo Sébastien CALVET)
publié le 27 février 2020 à 20h31

Bertrand Delanoë ne voulait pas mettre son nez dans la campagne, les candidats à la mairie de Paris en ont décidé autrement. Cédric Villani, Gaspard Gantzer (avant qu'il ne se retire), Benjamin Griveaux, Agnès Buzyn après lui… Les candidats issus ou proches de la majorité, qui se rappellent sans doute que le socialiste a appelé à voter Macron en 2017, citent son nom à tout bout de champ. «Les anciens maires jouissent d'un statut très valorisé, comme les anciens présidents. Ce sera pareil pour Hidalgo», analyse Jean Louis Missika, adjoint des deux socialistes.

Au-delà des règles générales, Delanoë, maire de 2001 à 2014, a marqué la génération des candidats actuels. Griveaux a commencé la politique à Paris au début des années 2000, Gantzer a été son conseiller presse et Serge Federbusch, candidat soutenu par le RN à Paris, chargé de l’urbanisme au début de son premier mandat.

Il y a aussi le contexte de son arrivée au pouvoir : Delanoë, c'est la conquête socialiste après quasi vingt-cinq ans de règne de la droite, c'est un maire qui circonscrit son ambition à sa ville - alors que Chirac s'en est servie de tremplin pour l'Elysée - , c'est une nouvelle pratique du pouvoir, qui apprivoise le concept de transparence, quand le RPR est cerné par les affaires parisiennes, des faux électeurs aux emplois fictifs. C'est aussi le début de l'après-«tout bagnole», avec le tram et les pistes cyclables. D'où les mots doux de Yannick Jadot, qui le qualifiait de «maire historique, adapté à l'attente des habitants à un moment», lors d'un meeting de David Belliard. Des louanges qui servent à l'argumentaire EE-LV. Car si le candidat écolo explique que Delanoë a su faire «entrer Paris dans une nouvelle ère», c'est pour expliquer que, de la même façon, c'est à leur tour d'ouvrir un nouveau chapitre.

«Diversité»

Quand il ne s'agit pas de se vendre, on cite Delanoë pour attaquer celle qui a repris son flambeau. «J'ai voté Anne Hidalgo. Je pensais qu'elle serait dans la continuité de Bertrand Delanoë. Ça n'a pas été le cas», critiquait ainsi Agnès Buzyn dans sa première interview au Parisien. Un reproche émerge de la comparaison entre les deux socialistes : Hidalgo cliverait autant que Delanoë savait rassembler. «Il était pragmatique, il comprenait la diversité des habitants de Paris. Mme Hidalgo, que je respecte par ailleurs, incarne, elle, plutôt un camp politique», a ainsi dit Pierre-Yves Bournazel, tête de liste LREM dans le XVIIIe.

Interrogé par Libération, un socialiste adjoint de Delanoë se rappelle qu'avec lui, «ça ne cognait pas comme sur Hidalgo. Même ceux qui ne votaient pas pour lui le respectaient. Anne est la maire de Paris, moins des Parisiens». Il y a, selon lui, une part d'injustice : la vie est devenue plus dure et les gens plus crispés ; on pardonne moins à une femme, et après trois mandats socialistes, l'usure du pouvoir faisant son œuvre, on lui passe moins de choses qu'à celui qui a entamé l'alternance. «Elle remet plus d'intérêts en cause, notamment sur l'environnement», ajoute-t-il.

Plus «politique», le premier maire socialiste de Paris avait moins de mal à calmer ses ardeurs réformatrices quand il sentait que sa majorité risquait d'être trop fragile face aux bourrasques de l'opposition. Il savait notamment caresser les maires d'arrondissement de l'opposition dans le sens du poil. Tous les vieux routiers du Conseil de Paris se rappellent par exemple qu'il venait dans les bastions de la droite, à l'ouest, pour les comptes rendus de mandats. Pas elle. «Il faisait la différence entre la personne et les désaccords, n'en faisait pas une question d'amour-propre. Anne, soit vous êtes avec elle soit contre elle», ajoute le même socialiste. Un conseiller de Paris, qui a connu l'époque Delanoë, abonde : «Il était autoritaire mais on pouvait s'expliquer, il y avait du contenu politique. Aujourd'hui, il n'y a aucun débat. Elle ne le permet pas.» Exemple avec le revirement d'Hidalgo sur la police municipale. La candidate de 2014 est contre, celle de 2020 est pour. «On l'a appris par la presse. On peut évoluer, mais ça se discute», regrette l'élu parisien.

Là encore, le contexte politique a changé. A l’époque de Delanoë, le PS bouge encore. Il compte, même. Avant d’être élu, le maire socialiste a labouré les sections parisiennes. Anne Hidalgo, elle, fréquente peu le groupe PS et ne s’embarrasse pas des rites de débat interne. Un exercice qui donnait une légitimité à l’autorité, ainsi mieux acceptée.

«S’imposer»

Décrite comme une dauphine mise sur les rails vers la mairie par Delanoë, Hidalgo a aussi été «obligée de s'imposer», juge un conseiller de Paris de l'opposition. «Ça explique le côté moins sympathique.» La maire sortante cite d'ailleurs son prédécesseur moins facilement que ses concurrents. «Ils sont fâchés, explique une socialiste. C'est très dur de savoir qui a commencé, ils ont tous les deux des ego surdimensionnés. Il a été très autoritaire avec elle, mais comme avec tout le monde. Oui, elle en a bavé mais c'était dans son intérêt.» Car Delanoë lui a offert la succession sur un plateau. L'ex-adjoint cité plus haut raconte : «En 2001, elle ne pèse rien. Il l'a couvée, protégée, lui a laissé le temps de grandir. Il y avait peut-être un côté paternaliste mais il a fait les choses proprement. Le jour où elle a été élue, il a disparu. Elle n'avait pas besoin de tuer le père et elle a fait l'erreur de le faire disparaître des photos.»

Lors de son discours d'adieu au Conseil, Delanoë n'a pas pu s'empêcher de lancer à son auditoire, Hidalgo comprise : «Vous me regretterez tous.» «Il ne l'a pas traitée avec beaucoup d'élégance», juge l'ex-LR Jean François Legaret, maire du Ier arrondissement depuis 2000. De son côté, l'ancien maire que les candidats se disputent comme une valeur refuge ne s'est toujours pas prononcé sur l'élection. Restera-t-il muet ?