En publiant ces témoignages, Libération poursuit son aventure éditoriale avec la Zone d'expression prioritaire, média participatif qui donne à entendre la parole des jeunes dans toute leur diversité et sur tous les sujets qui les concernent. Ces récits de jeunes candidat·e·s aux élections municipales de divers territoires et bords politiques, que nous publions aujourd'hui, ont été élaborés lors d'ateliers d'écriture organisés par la ZEP en partenariat avec l'association Tous élus, qui encourage l'engagement politique citoyen. Retrouvez les précédentes publications sur Libération.fr
«Ma jeunesse et ma couleur interrogent»
Brandy, 22 ans, Louvres (Val-D’oise), liste indépendante
«Depuis la Seconde Guerre mondiale, les maires de ma ville ont été trois agriculteurs. Tous des hommes, âgés, blancs. Et moi, j'arrive comme un cheveu sur la soupe pour me présenter aux municipales, un jeune homme de 22 ans, noir. Que les gens le voient positivement ou négativement, ça marque. Ça casse les codes. Une fois, au café du centre-ville, une personne âgée m'a dit : «Vous êtes candidat, vous ? Vous avez quel âge ?» Je lui réponds : «22 ans, et vous ?» «C'est pas votre problème…» Puis je l'ai entendue marmonner : «C'est incroyable, ces jeunes qui se croient tout permis.» Ça symbolise assez bien l'idée que les jeunes doivent rester à leur place. Comme ce qu'on peut dire à Greta Thunberg ! Parfois, c'est plus direct : «Vous êtes trop jeune, vous n'avez pas l'étoffe de la fonction.» Mais on peut aussi me dire : «C'est très bien, vous montrez l'exemple à mes enfants, à mes petits frères et sœurs.»
«En tout cas, personne n'est indifférent. Par exemple, au club de foot où je joue avec les seniors, après l'annonce de ma candidature, tout le monde m'appelait «Monsieur le maire». Une partie du vestiaire en tout cas. L'autre n'y croyait pas. Ils ne me prenaient pas au sérieux. Mais après un minidiscours, ils se sont rendu compte que ce n'était pas des blagues, que j'allais faire du tractage, du porte-à-porte, pas que m'habiller en jogging mais aussi me mettre en costume ! A partir de ce moment, Danny, un joueur qui était déçu de la politique, m'a soutenu et il est venu faire du porte-à-porte avec moi. Ali, défenseur du club, un enfant de Louvres qui a de l'influence à la cité, est allé voir les jeunes pour les inciter à voter.
«Après trois mois de campagne, je retiens que ma jeunesse et ma couleur interrogent. Mais plus le temps passe, plus j’arrive à être un candidat à part entière. L’idée, ce n’est pas non plus de perdre cette étiquette jeune parce que je suis un symbole pour ceux qui s’identifient à moi. Etre jeune et noir, ça ne devrait pas être un frein, mais une fierté.»
«C’est dur de convaincre une personne plus mature»
Amin, 22 ans, Saint-Pierre-des-Corps (Indre-et-Loire), liste indépendante
«Quand je me suis annoncé en tant que candidat, ça faisait deux ans que je mûrissais ce projet. J’en ai d’abord parlé à mon entourage, à mes amis proches. Ils étaient super enthousiastes. Au début, c’est de l’administratif : j’ai fait mon inscription en préfecture, j’étais le premier à m’être officiellement déclaré candidat. Cette campagne a nécessité de revoir mon quotidien en profondeur. Je devais jongler entre mon travail, mes loisirs et la préparation de la campagne. Les gens travaillent, donc tu vas les voir en fin de journée. Et quand tu passes au magasin, à la boulangerie, dans les petits cafés, tu dis bonjour.
«J’ai aussi l’avantage d’avoir des horaires variables, je suis juriste en assurance. Il y a des jours où je peux quitter plus tôt le travail et donc en profiter pour rencontrer un maximum de personnes. Par exemple, être à 15 heures à la sortie des écoles ou le samedi matin au marché, ça c’est obligatoire. Ensuite ça a été du porte-à-porte. Pour me présenter, dire pourquoi moi et pas d’autres. Je suis d’abord allé voir les jeunes, surtout ceux des quartiers populaires. Je souhaite vraiment être un porte-parole de ces quartiers peu représentés. Et grâce à ces rencontres, j’ai constitué une équipe.
«On s’intéresse à leur vie, à ce qu’ils font. Ceux avec qui je partageais les mêmes convictions, je leur donnais ma carte en leur proposant d’échanger davantage autour de la ville. Il fallait que je me crée un réseau. Et ça n’a pas été facile, surtout à 22 ans. C’est dur de convaincre quelqu’un de 40 ans qui a plus de maturité professionnelle et qui peut te dire : «Du haut de tes 22 ans, qu’est-ce que tu vas m’apprendre ?»
«Ça a aussi un coût, une campagne. Je n’ai pas de banque, ni de partenaires. Il fallait se démerder pour payer des tracts, j’ai dû en tirer 3 000 ou 4 000 pour 40 euros sur un site internet. De petites affiches. Mon entourage m’a aidé d’une centaine d’euros et moi, j’ai mis de mon argent, mais peu. Grâce aux réseaux, Snapchat, Instagram, Facebook, même les personnes âgées ont été mises au courant de ma candidature parce que leurs petits-enfants ou leurs enfants y sont et transmettent l’info.»
«Je ne me sentais pas légitime à me lancer en politique»
Sandrine, 29 ans, Saint-Germain-des-Fossés (Allier), liste participative
«Ça faisait six mois que je bassinais tout le monde à dire que j'allais revenir vivre à Saint-Germain-des-Fossés, que la ville était en train de s'éteindre… Plus je voyais ce que faisait la municipalité actuelle et plus je me disais : «Merde, les gens qui ont ce profil politique classique, ils font n'importe quoi !» Je suis née ici, ma famille y est installée depuis les années 1850. J'y suis attachée et c'est là que je veux être. Je m'étais dit que je me présenterais peut-être aux élections municipales dans dix ans. Mais… pourquoi pas maintenant ?
«Je ne me sentais pas légitime à me lancer en politique. Pour moi, c'était réservé à certaines personnes : la cinquantaine, ancrées localement parce qu'elles ont telle ou telle boîte. Des gens qui ont «de l'importance». Et moi, je me disais : «Tant que je n'ai pas fait un truc fort pour la commune et que je n'ai pas 40-50 ans, j'ai moins ma place que quelqu'un d'autre sur cette liste.» Je ne voulais pas l'usurper. J'avais l'impression qu'il fallait simplement être content qu'on nous laisse être en fin de liste. Et qu'on se sente «élu» quand quelqu'un qui est au pouvoir vient nous voir en disant : «On a une place pour toi.»
«En fait, il y a un côté caste sociale en politique. Je l’ai vécu dans mon métier, quand j’étais directrice de com. J’avais un rôle de représentation et de négociation commerciale dans des conventions, des conseils d’administration… face à des hommes, la cinquantaine, en écrasante majorité. A chaque fois que je prenais la parole, c’était cinq minutes au début ou à la fin. Sinon, c’était toujours les mêmes qui parlaient.
«A l’approche des élections, une liste d’opposition s’est lancée. Une liste ouverte à tous, où il n’y avait pas de hiérarchie hyper lourde. Je trouvais ça génial, alors j’ai proposé d’être bénévole pour leur communication. Depuis, je suis devenue sixième de liste. Et c’est quelque chose qui semblait normal pour à peu près tout le monde autour de moi… sauf moi. A la première réunion, je ne prenais pas la parole, j’écoutais ce qu’il se passait. Mais l’âge s’est effacé au bout de quelques minutes. Colette, une retraitée, quatrième sur la liste, m’a posé plein de questions hyper bienveillantes sur qui j’étais, ce que je faisais… Elle m’a proposé qu’on tracte ensemble dans les boîtes aux lettres, pour faire connaissance et découvrir son quartier. Elle s’était engagée avant moi et ça a contribué à ce que je me sente accueillie. En fait, le pouvoir, il faudrait le renverser : ceux qui se sentent les moins légitimes sont parfois les plus légitimes.»
«J’utilise les codes de ma génération sur les réseaux sociaux»
Alexandre, 25 ans, Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis), LREM
«C’est ma première campagne municipale en tant que tête de liste. J’ai déjà été candidat il y a six ans, à 19 ans, et j’ai eu pas mal de frustrations. J’étais responsable de la com numérique. Je faisais beaucoup de terrain. Il y avait déjà une forte présence des réseaux sociaux : Twitter, Facebook… Mais les méthodes étaient d’un autre temps, et dans une campagne avec des quinquas… on ne te demande pas ton avis. Aujourd’hui, j’utilise de nouvelles méthodes en plus des anciennes.
«J'utilise les codes de notre génération. La professionnalisation des réseaux sociaux est hyper intéressante. Le souci du détail sur les images est beaucoup plus fort. Par rapport à ma dernière campagne, je n'ai pas du tout le souvenir qu'on ait débattu des heures sur une couleur, une police, l'agencement d'une page Facebook ou le nombre de personnes atteintes… Chaque publication est travaillée en amont, avec le visuel ou la vidéo qui va avec. Je ne sors pas une proposition si je n'ai pas fait une vidéo sur le sujet. Et on a un planning de publications qui doit être scrupuleusement respecté. Chaque semaine, le coordinateur du pôle image dit à l'équipe : «On a touché X nouvelles personnes, comment on peut faire pour en toucher plus ?» C'est clairement le pôle le plus en ébullition, celui qui demande le plus de travail. Parce qu'après, sur le programme, il y a moins d'échanges.
«L’image nous monopolise. J’ai des gens qui sont community managers pro et qui le font pour la campagne, d’autres dans la tech, dans les médias… Les réseaux sociaux, si on n’y est pas, on a tout perdu. Mais ce n’est pas ça qui nous fait gagner des voix. C’est complémentaire avec le terrain : après chaque opération de porte-à-porte ou de tractage, on constate un boom de visites sur notre page Facebook. On a décidé aussi d’avoir un local en plein centre-ville, et c’est une publicité permanente. Il n’y a pas un soir où je n’ai pas un rendez-vous avec quelqu’un au local. En politique, il y a des choses qui sont indémodables.»
Ce témoignage est une version mise à jour de celui publié dans l'édition du 29 février 2020.
«Au début, j’ai eu un conflit intérieur : suis-je en train de me trahir ?»
Armonia, 33 ans, Les Lilas (Seine-Saint-Denis), soutenue par EE-LV
«En janvier, j'ai dit à mon copain : «Pendant trois mois, ne compte pas beaucoup sur moi.» Une campagne, ce n'est pas un sacrifice, mais on renonce quand même à plein de choses de la vie privée. On devient une personne publique à l'échelle de la ville. Depuis deux ans, je vis aux Lilas et je m'y présente en co-tête de liste. Au niveau local, on se rend compte très vite qu'on passe d'une citoyenne lambda à une candidate. Les gens vont voter pour une liste et pour une tête. Il faut assumer de mettre son visage sur une affiche dans la rue, sur les tracts. Au quotidien, je continue ma vie d'avant mais je n'ai même plus le temps d'aller acheter du pain ! Je ne ratais jamais mon rituel du dimanche au marché. Maintenant quand j'y vais, c'est avec ma casquette politique, pour tracter, de 9 heures à 12 heures. C'est l'hiver, il fait froid, et dès que c'est fini je me dépêche de rentrer chez moi pour me réchauffer les pieds.
«Sur un mois, je prends quand même trois-quatre jours de pause au total pour recharger les piles. Pour le reste, chaque minute compte. Je ne l'avais pas complètement anticipé. Le plus marquant, c'est quand j'ai voulu organiser un événement pour Tous élus. Certaines associations présentes m'ont rejetée parce que j'étais candidate : «T'es naïve, aujourd'hui t'es candidate tu ne peux pas faire quelque chose sans cette casquette.» J'ai eu deux-trois larmes pendant cette campagne. Là il devenait évident que pendant des mois j'aurais été «la candidate», alors que j'avais gardé ma casquette société civile non encartée justement pour ne pas tomber dans cette dichotomie. J'ai choisi ce niveau d'engagement parce que c'est celui proche du quotidien des habitants. Mais pendant une campagne, il peut y avoir une forme de réticence à s'afficher proche de telle ou telle liste. Tout est perçu comme «politique», et pas dans le meilleur sens du terme. En m'engageant sur une liste, je m'engageais aussi à changer mes modes d'action.
«J’ai beaucoup milité dans des collectifs pour la transition écologique et sociale : j’ai vécu pendant quatre mois dans une clinique désaffectée à Pontivy avec la Bascule, un mouvement de lobby citoyen. J’étais devant le tribunal administratif de Rennes lors de la procédure contre l’arrêté anti-pesticides de Daniel Cueff et j’ai passé une partie de mon été en tant que volontaire dans un éco-lieu des Cévennes. Au début, j’ai eu un conflit intérieur : suis-je en train de me trahir ? Mais non, mes valeurs n’ont pas changé, je change juste de modalités.»