L'article 49.3 de la Constitution, auquel Edouard Philippe recourt pour le projet de réforme des retraites, permet au Premier ministre d'engager la responsabilité du gouvernement devant l'Assemblée nationale sur un texte de loi, pour le faire adopter sans vote.
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Sous la Ve République, cet outil a déjà été utilisé quelque 90 fois. L'article 49.3 s'est «progressivement mué en une arme multifonctionnelle, donnée à des Premiers ministres qui abusèrent des facilités qu'elle leur offrait», note le spécialiste du droit constitutionnel Guy Carcassonne dans son ouvrage la Constitution (Points, 2019).
Comment ça marche ?
Le projet de loi est considéré comme adopté sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures, est votée par l’Assemblée. La motion est débattue au plus tôt quarante-huit heures après son dépôt et, si elle est approuvée par la majorité absolue des députés, le gouvernement doit démissionner.
L’article 49.3 ne peut être utilisé que sur un projet de loi budgétaire, ou une fois par an seulement sur un autre texte. Mais une fois que le Conseil des ministres l’a autorisé, le Premier ministre peut le dégainer à chacune des lectures successives devant l’Assemblée nationale. En revanche, il ne peut être utilisé devant le Sénat, celui-ci n’ayant pas le pouvoir de renverser le gouvernement.
Le Premier ministre ne peut y recourir qu’après délibération du Conseil des ministres.
Peu de risques
Cette procédure est peu risquée pour le gouvernement, car il est politiquement difficile à des députés de la majorité, même très critiques, de voter une motion de censure de l’opposition. Dans le cas présent, Edouard Philippe ne prend même aucun risque alors que sa majorité est largement assurée sur la réforme des retraites.
Sous la Ve République, une seule motion de censure a été votée, en 1962, contre le gouvernement de Georges Pompidou. Le général de Gaulle, alors président de la République, avait dissous l'Assemblée, et les législatives s'étaient soldées par une large victoire de ses partisans.
Aveux d’impuissance
Toutefois le recours à l'article 49.3 constitue souvent pour un gouvernement l'aveu de son impuissance à faire voter des textes cruciaux. Minoritaire à l'Assemblée nationale, le Premier ministre Michel Rocard (1988-1991) l'avait souvent utilisé, par exemple pour une réforme de l'audiovisuel public.
Le dernier recours au 49.3 par un gouvernement de droite remonte à 2006, lorsque Dominique de Villepin avait fait passer le projet de loi Egalité des chances comprenant le contrat première embauche (CPE), qui n’a finalement jamais vu le jour.
Manuel Valls l'a utilisé trois fois en 2015 pour faire passer la loi «pour la croissance et l'activité» de son ministre de l'Economie, Emmanuel Macron… alors très réticent. Puis en 2016, il y a eu à nouveau recours à trois reprises pour faire adopter la loi Travail de Myriam El Khomri, ce qui avait poussé 56 députés de la majorité à tenter en vain de déposer une inédite motion de censure contre le gouvernement.
Deux motions de censure
Samedi soir, les députés LR ont déposé une motion de censure contre le gouvernement, a indiqué leur chef de file Damien Abad. Cette motion est «au nom du groupe LR» et «nous avons refusé toute velléité de motion commune» avec la gauche, a-t-il ajouté.
A peine une heure plus tard, la gauche a déposé sa propre motion de censure contre le gouvernement. Les trois groupes de gauche à l'Assemblée (PS, LFI, PCF) ainsi que Jennifer de Temmerman (non-inscrite, ex-LREM), soit 63 députés, dénoncent dans leur motion «un gouvernement qui piétine la procédure parlementaire». «L'héritage du Conseil national de la résistance ne peut ainsi être remis en question» par cette réforme prévoyant un système universel de retraite par points, proclament-ils.
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Le dépôt de deux motions de censure simultanées n'est pas sans précédent sous la Ve République. Le dernier cas remonte à l'été 2018 lors de l'affaire Benalla. En 1979 et 1980, socialistes et communistes avaient aussi déposé plusieurs motions parallèles contre le gouvernement Raymond Barre, visant les projets de loi de Finances.
Les votes sont dans ce cas séparés, ce qui implique qu’un député peut théoriquement apporter sa voix à deux motions.