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49.3 : l’intersyndicale s’insurge, la CFDT renvoie majorité et opposition dos à dos

Le recours au 49.3 exaspère les centrales opposées à la réforme, qui espèrent relancer le mouvement de protestation.
Edouard Philippe en janvier 2020 pendant les concertations entre Matignon et les syndicats. (Albert FACELLY/Photo Albert Facelly pour Libération)
publié le 1er mars 2020 à 21h01

«Incompréhensible et inacceptable» pour FO. «Scandaleux» aux yeux de la CGT. «Un véritable déni de démocratie», selon Solidaires. Président de la CFE-CGC, François Hommeril enrage : «Après le mensonge fondateur d'une grande réforme de progrès social qui ne fait que des perdants. Avec le trucage de l'étude d'impact. Voici venir le temps de la violence institutionnelle avec le 49.3.» Déjà fâchés sur le fond de la réforme des retraites, les syndicats en première ligne de la contestation contre le projet de l'exécutif sont tout autant ulcérés par la forme. Depuis samedi et l'annonce du recours au 49.3 par le Premier ministre, ils ont tous, tour à tour, fustigé la décision du gouvernement. «C'est un dossier très important qui touche à la protection sociale et à la vie de tout le monde, un sujet comme cela mérite le temps du débat. Et là, il n'y a rien. Depuis décembre, ce n'est qu'un jeu de dupes de la part du gouvernement», accuse Eric Beynel, porte-parole de Solidaires. Ce qui n'est pas courant, c'est que ce point de vue est partagé par le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, pour qui la réforme «aurait mérité un vrai débat».

Certes, la perspective d'un débat sans vote à l'Assemblée nationale se profilait depuis plusieurs jours mais pour FO, ce «mauvais signal» est d'autant plus regrettable qu'il a été envoyé par surprise au détour d'un Conseil des ministres exceptionnel dédié à l'épidémie de coronavirus. Or la crise sanitaire «exige […] la plus grande solidarité nationale et par voie de conséquence l'apaisement», souligne le syndicat pour qui le gouvernement choisit au contraire de tendre la situation.

Le 49.3 à peine dévoilé samedi soir, des rassemblements militants se sont d’ailleurs organisés à la va-vite à Paris, devant l’Assemblée, et dans plusieurs grandes villes de province. Dans la foulée, la CGT annonçait que l’Opéra de Paris et la Comédie-Française relançaient leur mouvement de grève.

Après sa dernière journée de mobilisation interprofessionnelle, le 20 février, l’intersyndicale avait décidé de ralentir le rythme de ses grands rendez-vous, en fixant au 31 mars la prochaine grosse journée de lutte.

Durcissement

L'annonce du 49.3 a changé la donne. «L'attitude du gouvernement est profondément scandaleuse, et donc il y aura une réaction à la hauteur», a réagi samedi Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT. Et de promettre une mobilisation dès cette semaine. Les centrales doivent se mettre d'accord ce lundi pour choisir le jour idoine. La date de mardi, jour de débat sur les motions de censure de l'opposition, tient la corde. S'ils dénoncent unanimement le 49.3, tous les syndicats espèrent aussi que ce tournant relance la mobilisation dans la rue. «Ça peut être un accélérateur», note Eric Beynel. Selon lui, la contestation connaîtrait déjà, depuis quelques jours, un certain regain, notamment dans l'Education nationale en raison de la fin des vacances scolaires.

Du côté des syndicats favorables à un système de retraite par points, le ton est plus mesuré. Le recours au 49.3 est pointé du doigt, la CFDT «déplor [ant] que les débats n'aient pu se tenir jusqu'au bout». Mais si le syndicat de Laurent Berger pointe la responsabilité du gouvernement, elle égratigne tout autant les députés de l'opposition et la «multiplication stérile d'amendements sans aucun intérêt». La CFDT renvoie donc majorité et opposition dos à dos : «Deux stratégies politiques qui n'offrent pas de perspectives aux travailleurs.» Même discours à la CFTC. «On regrette d'en arriver là après deux ans de concertation, mais on se demande aussi si on pouvait continuer comme ça», explique son président, Cyril Chabanier. Principale crainte du syndicaliste : un durcissement de la contestation, puisque «tout passage en force remet de l'huile sur le feu. Cela peut donc remobiliser dans la rue». Ce qui est l'opposé de la stratégie des syndicats favorables à la réforme. Ils ont depuis le début a fait le choix de la négociation et espèrent toujours faire avancer leurs revendications.

Pénibilité

«Certains points qu'on a défendus sur le cumul emploi retraite ou les droits familiaux devraient être dans le nouveau texte», fait valoir Chabanier. Mais pour la CFDT, le compte n'y est toujours pas, notamment sur le volet pénibilité et sur les garanties de maintien du niveau des pensions des fonctionnaires.

«Le gouvernement vient de faire le choix du 49.3, mais pas encore celui de la justice sociale», souligne Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT dans le Parisien. La centrale promet donc de «se battr[e] jusqu'au bout» lors du passage du texte au Sénat, mais aussi dans le cadre de la conférence de financement, pour faire avancer ses idées. Dans sa lettre aux partenaires sociaux envoyée samedi, Edouard Philippe tente de rassurer les syndicats prompts à négocier. Le texte sur lequel il engage sa responsabilité contient déjà des «avancées». Il maintient surtout son engagement d'intégrer les solutions qui se dégageraient de la conférence. Pas de quoi convaincre FO, qui s'interroge désormais ouvertement sur «le sens» de ce grand raout, menaçant, tout comme la CGT, de le déserter.