La passerelle qui mène au tribunal judiciaire de Bobigny, parée de ballons et de banderoles, détonne avec l’austère édifice. A l’appel de la CGT des chancelleries et services judiciaires, une centaine de greffiers, avocats et magistrats se sont donné rendez-vous pour un rassemblement symbolique sur la dalle qui fait face au tribunal. La foule unie de robes noires se réchauffe dans un vacarme assourdissant de sifflets et de cris de protestation. Alors que depuis neuf semaines, les avocats sont mobilisés contre le projet de réforme des retraites, mercredi, les greffiers de Bobigny étaient eux aussi en grève (44 % des effectifs selon la CGT) pour réclamer des effectifs supplémentaires et une revalorisation salariale.
Stéphane Maugendre, avocat au barreau de Bobigny, immortalise la scène, «inédite» : «Ça fait trente-trois ans que je suis avocat ici et je n'ai jamais vu les greffiers se mettre en grève. Ce tribunal ne fonctionne que grâce au système D et à l'abnégation. Il y a des audiences au civil qui se tiennent sans greffier mais avec des "faisant fonction de greffier", et on ne dit rien. Ce n'est que du bricolage… Bobigny est une des juridictions les plus sinistrées alors qu'on est la deuxième du pays en nombre de décisions rendues.» Le 28 février, après une rencontre avec les représentants de la profession, la garde des Sceaux a annoncé la création d'une mission opérationnelle sur l'avenir des avocats. Avec à sa tête Dominique Perben, ancien ministre de la Justice de Jacques Chirac, une personnalité «incontestable», selon Nicole Belloubet. «J'ai vu passer un sacré nombre de missions censées identifier les problèmes dans la profession, peste Stéphane Maugendre. En vérité, ce n'est qu'un saupoudrage de moyens par-ci par-là.»
Au milieu des robes noires, le drapeau de l'Union syndicale des magistrats (USM) flotte au vent. Ludovic Friat, représentant local du syndicat et président d'une chambre de comparution immédiate, est venu témoigner sa solidarité avec le personnel de greffe : «Les efforts récents en termes de moyens et de personnels ne constituent qu'une remise à niveau a minima. On part de si loin à Bobigny… Les conditions de travail y sont si particulières qu'il y a une grande solidarité entre tous les acteurs judiciaires», souligne le magistrat, qui renvoie entre 60 % et 70 % des comparutions immédiates depuis le début du mouvement.