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Interview

Coronavirus : «Garder la confiance et jouer la transparence est essentiel»

Saisi par le ministre de la santé, le président du Comité d'éthique donne des repères pour gérer au mieux l'épidémie .
Dans une école de Crépy-en-Valois (Oise), lundi. (FRANCOIS NASCIMBENI/Photo François Nascimbeni. AFP)
publié le 4 mars 2020 à 7h05

Le professeur Jean François Delfraissy, qui préside le Comité national d’Ethique, s’interroge sur la gestion de l’épidémie à coronavirus, la question du confinement, le respect de la vie privée des malades et la confidentialité concernant les informations sur leur état de santé.

Y a-t-il un regard éthique à porter sur cette épidémie ?

Evidemment, oui. Nous venons d'être saisi par le ministère de la Santé sur l'ensemble des questions éthiques autour de cette épidémie, allant de la prise en charge aux mesures de santé publique. Le Comité avait d'ailleurs rendu un avis face à un risque épidémique grippal en février 2009. Le Comité avait entre autres recommandé que «l'état d'urgence sanitaire ne saurait justifier, sauf circonstance d'une exceptionnelle gravité, le sacrifice du respect de la vie privée des personnes et de la confidentialité des informations afférentes à leur santé».

Là, vu l’urgence, nous allons rendre un «avis flash» dans les huit jours. Que peut-on dire ? Jusqu’à présent, il n’y a pas eu de problèmes majeurs, encore que nous avons vu des noms de personnes à risque ou infectées être rendues publiques, ce qui pose la question de la confidentialité. Si nous passons prochainement en phase 3 de l’épidémie, les questions soulevées ne seront alors plus sanitaires mais globales sur l’ensemble du dispositif de l’Etat. Avec assurément, des interrogations éthiques.

Les atteintes aux libertés individuelles que suppose le confinement ou l’isolement de certaines personnes vous paraissent-elles problématiques ?

Ce qui me paraît important, c’est d’être dans la transparence la plus possible, non pas en soi mais pour garder une confiance la plus forte avec la population. Garder la confiance, et donc jouer la transparence est essentiel. Jusqu’à présent cela me semble le cas. Vous demandez si une décision comme le confinement, qui pourrait donc amputer des aspects de la liberté individuelle, nous interroge. Ce questionnement est légitime, mais à partir du moment où la décision est justifiée par des principes de santé publique, on peut accepter, sur le plan éthique, qu’une décision qui doit apporter un bénéfice à la communauté puisse amputer des aspects de la liberté individuelle. Si c’est expliqué, si c’est justifié, et si c’est transitoire, cela est tout à fait acceptable. A condition, je le répète, d’une grande transparence. Dire ce que l’on sait, comme dire ce que l’on ne sait pas. Dans un autre domaine, j’ajouterais qu’en ces temps d’urgence et de rumeurs, les chercheurs ont une responsabilité particulière, celle de ne pas se laisser aller à des annonces un peu trop hâtives.

N’avez-vous pas le sentiment que l’on en fait trop ? 

Cela renvoie à la réalité du risque, et à sa perception. Nous sommes face à un virus  complexe, qui peut être contagieux y compris dans des phases asymptomatiques, mais ce virus a une mortalité faible. Et depuis trois mois, il n’a pas connu une mutation génétique notable. En plus, il semble que l’épidémie baisse en intensité en Chine. Voilà pour le contexte. Est-ce que l’on en fait trop ? L’éthique est là pour rappeler que l’aspect collectif peut à certains moments prendre le dessus sur l’aspect individuel.

Et si tout cela ne servait à rien ?

Il est trop tôt pour entrer dans ce débat, car on ne sait pas ce qui se passe actuellement, on ne connaît surtout pas le déroulé, ni ce qui va se passer dans les dix à quinze jours. Aujourd’hui, les analyses sont prématurées. Je prends un exemple : si la tendance de baisse en Chine se confirme, est-ce en raison des mesures drastiques prises par le gouvernement chinois ? Ou bien est-ce le fait que dans toute épidémie il y a un moment où le niveau d’infection global est tel qu’il y a une sorte de réaction immunitaire collective qui fait que l’on aboutit à une autorégulation, avec un équilibre ? C’est ce que l’on a vu dans un grand nombre de maladies infectieuses… Aujourd’hui, il est impossible d’y répondre.

Etes-vous inquiet ?

Non. On va rentrer dans un temps sociétal. Je ne m’inquiète pas de la capacité des Français à faire face. De même pour l’hôpital, il a beau traverser une crise, il est capable de faire face à l’urgence qui est importante. Mais en effet, si l’on passe en phase 3, il y aura une gestion délicate pour l’hôpital. A-t-on, par exemple, assez de lits de réanimation ? Comment protéger, aussi, au mieux les professionnels de santé ?