Cynthia avait 16 ans quand son père, Jean-Pierre, a tué sa mère, Eliane, un soir de septembre 2011, à une cinquantaine de kilomètres de Chartres (Eure-et-Loire). Eliane a été retrouvée asphyxiée, entravée à l'arrière du monospace familial, en feu. En 2018, Jean-pierre a écopé de vingt ans de prison en appel. «Je n'ai même plus l'impression de vivre. J'essaie de survivre», avance Cynthia, face caméra et à visage découvert. Dans un documentaire poignant diffusé ce jeudi soir sur France 2 (1), la jeune femme aujourd'hui âgée de 24 ans, devenue mère depuis, raconte les années d'après, la vie sans parents avec ses cinq frères et sœurs, dont quatre étaient mineurs au moment des faits, sous la houlette d'une sœur aînée à peine vingtenaire et brutalement propulsée à la tête d'une famille nombreuse.
Quels liens entretenir, ou pas, avec un père meurtrier ? Peut-il encore seulement être considéré comme un père ? Cinq enfants aujourd'hui âgés de 13 à 29 ans se sont confiés à la journaliste Nathalie Sapena. Antoine et Mathieu avaient 12 et 14 ans quand le compagnon de leur mère, Christina, l'a tuée dans la cuisine de la maison de cette famille recomposée. Elle voulait le quitter. Ensemble, le couple de trentenaires avait eu un fils, Paul, aujourd'hui âgé de 13 ans, et désormais élevé par ses grands-parents paternels. Au procès, les grands-parents ont assuré que leur fils s'était défendu contre une «agression» de Christina. Comment Paul réagira-t-il quand il découvrira «la vraie vérité ?», s'interrogent les aînés, Antoine et Mathieu. Celle des coups de couteau, de l'étranglement, des coups de poing. Le père a été condamné à vingt-trois ans de prison. Paul lui rend visite une fois par mois. Avec justesse, le documentaire pose la question du lien, de l'autorité parentale, de la reconstruction de ces dizaines d'enfants trop souvent occultés des affaires de féminicides.
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Rien que depuis le début de l'année 2020, selon les données recueillies par Libération, qui recense les meurtres conjugaux depuis début 2017, au moins 14 enfants ont perdu leur mère, tuée par leur conjoint ou leur ex. Parfois, les enfants eux aussi sont tués : en 2018, selon le ministère de l'Intérieur, cinq mineurs ont été tués concomitamment à des morts violentes au sein du couple. Cette année-là, 149 personnes ont été tuées par leur conjoint ou leur ex, dont 121 femmes, et 29 enfants ont été témoins de ces scènes de crime, soit directement, soit parce qu'ils ont découvert les corps. 15 enfants sont devenus orphelins de père et de mère, 55 ont perdu leur mère, et 12, leur père.
Dans trois des affaires de 2018, ce sont les enfants eux-mêmes qui ont donné l'alerte. Raconter leurs histoires est dur, mais aussi nécessaire, pour que leurs difficultés sociales, psychologiques ou administratives, soient mieux prises en compte. Les choses avancent toutefois : une proposition de loi adoptée au Parlement en décembre dernier prévoit une suspension de plein droit de l'autorité parentale en cas de crime sur conjoint ou de poursuites pour ce motif. A l'issue du grenelle des violences conjugales, le Premier ministre, Edouard Philippe, s'était également dit favorable à une modification du code civil, afin de supprimer l'obligation alimentaire à l'égard des enfants dans les cas où un parent aurait tué l'autre.
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(1) Complément d'enquête: famille, des liens qui font mal, jeudi à 22h50 sur France 2.