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Religion

Loi 1905 : le gouvernement peaufine son plan culte

Depuis mi-février, Christophe Castaner reçoit discrètement les responsables religieux et leaders laïcs pour préparer une révision de la loi sur la séparation des Eglises et de l’Etat.
Une mosquée en construction à Charleville-Mézières, le 28 octobre 2019. (Photo François Nascimbeni. AFP)
publié le 5 mars 2020 à 20h06

Sans tambour ni trompette, le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, a entamé mi-février des consultations sur l'organisation des cultes en France. Pour aboutir à une révision de la loi de 1905 ? Prudent, le gouvernement demeure flou même si un projet de loi, confirmé par plusieurs sources à Libération, est en préparation.

Castaner a d'abord reçu Place Beauvau, l'un après l'autre, les principaux responsables des religions. En commençant, le 10 février, par Eric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France. Puis, la semaine dernière, le ministre a entamé des concertations avec les obédiences maçonniques et les associations laïques. «Le ministre nous a assuré que les fondamentaux de la loi de 1905 ne seraient pas concernés», explique à Libération Jean-Philippe Hubsch, le grand maître du Grand Orient de France. «Le projet du gouvernement me paraît aller dans le bon sens», souligne pour sa part François Clavairoly, le président de la Fédération protestante de France (FPF).

«Séparatisme»

Pour les responsables religieux, la démarche de la Place Beauvau n'est pas tout à fait une surprise. «Le 6 janvier, le président Macron nous avait reçus pour les vœux et il nous avait alors indiqué que des dispositions de la loi de 1905 seraient réexaminées», précise Anouar Kbibech, ancien président du Conseil français du culte musulman (CFCM). «C'est l'islam qui est principalement concerné par le projet du gouvernement», assure un responsable religieux. En fait, les consultations menées par le ministre de l'Intérieur s'inscrivent dans la suite du discours prononcé le 18 février, à Mulhouse, par le chef de l'Etat, visant, selon les mots de Macron, à combattre le «séparatisme musulman». L'une des priorités du gouvernement est de lutter contre les influences étrangères dans l'islam de France et d'assurer la transparence de son financement.

«Cet objectif de transparence fait consensus parmi les responsables d'associations musulmanes», assure Anouar Kbibech. Cependant, le discours de Mulhouse a reçu, selon le responsable religieux, un «accueil mitigé» : sur le terrain règne le sentiment qu'Emmanuel Macron a trop attiré l'attention sur la religion musulmane à l'approche des municipales.

Quoi qu’il en soit, les propositions élaborées par le ministre de l’Intérieur visent principalement à inciter l’islam à rentrer dans le dispositif prévu par la loi de séparation des Eglises et de l’Etat. Pour le moment, la plupart des associations qui gèrent des lieux de culte musulmans ont opté pour un statut de loi 1901, moins contraignant que celui instauré par celle de 1905. Selon plusieurs responsables religieux, le gouvernement réfléchirait à des dispositions financières afin que les gestionnaires de mosquée optent pour le statut d’associations cultuelles (sous la loi de 1905, donc). L’objectif affiché est de parvenir à une meilleure traçabilité des dons, notamment de ceux en provenance de l’étranger.

Par ailleurs, le projet de loi comporterait une dimension sécuritaire, notamment en révisant une partie du titre V de la loi de 1905, celui intitulé «police des cultes», dont certaines dispositions selon les spécialistes de la laïcité n’ont pas été remises à jour depuis le vote de la loi, il y a 115 ans. Il s’agit notamment des sanctions prévues en cas de trouble à l’ordre public ou si des discours politiques sont tenus dans des lieux de culte.

A l'automne 2018, le gouvernement avait déjà planché sur un projet similaire et, à l'époque, le ministre de l'Intérieur avait parlé de «refonder la loi de 1905». Quelques mois plus tard, pendant le grand débat national lancé dans le sillage de la crise des gilets jaunes, le président de la République avait fermé la porte à une révision de la loi.

Craintes

Chassé par la porte, le projet revient donc visiblement par la fenêtre. Sollicité par Libération, le cabinet du ministre n'a pas donné suite. Le gouvernement a en tout cas promis aux responsables religieux et leaders laïcs de leur transmettre, dans les semaines à venir, un document reprenant ses propositions. Mais étant donné le calendrier parlementaire, le projet de loi ne serait pas examiné avant début 2021.

Sur le terrain, le pari du gouvernement est loin d'être gagné. «Qu'est-ce qui pourrait contraindre un responsable de mosquée à passer sous le statut d'association cultuelle ?» s'interroge un leader musulman. D'ores et déjà, les craintes s'expriment au sujet des contrôles de plus en plus tatillons des lieux de culte et de formations musulmans. En novembre, l'Institut d'études en sciences humaines (IESH), faculté privée proche de la branche française des Frères musulmans, située à Saint-Denis, a été fermé pour des raisons de sécurité. Selon la préfecture de Seine-Saint-Denis, «un avis défavorable à l'accueil du public a été donné». Les cours n'ont toujours pas repris.