Le docteur Jean-Marie Destelle, 57 ans, est installé depuis vingt-cinq ans à Eragny-sur-Oise (Val-d'Oise). Une zone touchée par le coronavirus, puisqu'un nouveau foyer de contamination a été identifié à 10 kilomètres de là, dans la commune de Méry-sur-Oise (neuf cas et un décès, celui d'un homme de 85 ans). Ce médecin généraliste libéral, qui met un point d'honneur à continuer à proposer des consultations à des patients qu'il ne connaît pas, raconte à Libération comment il s'adapte, tant bien que mal, à la propagation de l'épidémie.
L’information
«Je suis abonné aux alertes de la Direction générale de la santé (DGS) et suis souvent très surpris du décalage flagrant entre les informations que l’on reçoit et celles dont on entend parler dans les médias ou sur les réseaux sociaux au même moment. Un exemple : le 28 février, je reçois un mail me répercutant les infos de la veille, évoquant 18 cas en France. En fait, quelques heures plus tard, on apprenait qu’il y en avait déjà 109 dans le pays. C’est en décalage total avec les principes de précaution que l’on tente de mettre en place. On est encore au niveau 2, où l’on est censé tout faire pour limiter la propagation de l’épidémie et protéger nos patients d’un risque de contamination.»
L’activité
«En théorie, les personnes présentant des symptômes [fièvre, toux, ndlr] et appartenant à un groupe à risque [retour d'Italie ou de Chine, par exemple] sont censées téléphoner au Samu et ne venir nous voir que si ce dernier les rebascule vers nous. En pratique, cela ne se passe pas du tout ainsi. Les gens veulent consulter le plus vite possible. Mon secrétariat, depuis quelques jours, interroge les gens qui appellent pour connaître le motif précis de la demande de consultation, identifier qui pourrait être malade, et leur demander, le cas échéant, de venir avec un masque, en les maintenant à l'écart des autres patients si nécessaire. Une personne qui tousse, on lui demande de porter un masque, de se mettre un peu à l'écart dans la salle d'attente, voire d'attendre son rendez-vous dans sa voiture.»
Les consultations
«Je ne constate pas de regain de mon activité, bien au contraire. Mon planning de rendez-vous pris à l'avance se vide. D'habitude, il est plein dix jours en amont. Là, j'ai des places libres pour les prochaines journées. Le reste des consultations, des rendez-vous pris peu de temps en avance, ont tous un lien avec le coronavirus. Le degré d'information des gens est inquiétant. Bien souvent, dans leurs esprits, ce sont les autres qui doivent se protéger, pas eux. Le poids des fake news est aussi troublant, avec ces personnes qui m'interrogent sur la possibilité de contamination dans une pièce dans laquelle un individu infecté serait passé il y a plusieurs jours, ou encore sur la durée de vie du virus dans l'air.»
Les précautions
«Je suis encore plus attentif que d’habitude à la désinfection de mon matériel. Je surveille ma température tous les matins et tous les soirs. Pour le coronavirus, le premier symptôme est souvent une petite montée fébrile, qui peut passer inaperçue. J’ai la chance d’avoir une température très stable. Si j’ai 0,5°C de plus, je porterai un masque tout au long de la journée. J’ai aussi aménagé une pièce vide de mon cabinet dans laquelle j’examinerais, le cas échéant, les personnes présentant des risques importants. J’ai acheté, à mes frais, une surblouse, des surlunettes, que je me laisse la possibilité d’enfiler s’il le faut pour réduire les contacts.»
Le matériel
«J’ai placardé plusieurs affichettes officielles sur le coronavirus : à l’extérieur du cabinet, dans la salle d’attente, dans les toilettes avec un rappel des techniques de lavage de mains. Au début de l’épidémie, j’avais mis des masques à disposition pour les personnes toussant beaucoup, mais j’ai dû arrêter parce qu’on me les piquait. J’ai reçu il y a peu une boîte de 50 masques fournie par le stock stratégique de l’Etat. Le premier que j’ai sorti, l’élastique m’est resté entre les mains. Je pense que c’est moi qui vais les enfiler aux patients pour éviter que ça ne se reproduise.»
Les patients
«Je remarque que depuis l’épidémie de grippe H1N1 en 2009, les comportements ont progressé. Les gens sont plus prudents, ils savent isoler un enfant malade, ils se lavent les mains plus souvent. Mais le manque de civisme reste préoccupant. Beaucoup de personnes ont tendance à reprocher aux autres de ne pas adopter les bons comportements, comme s’ils ne risquaient pas eux-mêmes d’être contaminants. Or, la personne qui tousse à un mètre de moi sans mettre son coude devant sa bouche, c’est un problème.»