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Libération
A la barre

Condamnée pour ses prêts toxiques, BNP Paribas Personal Finance fait appel

Cette filiale de l'une des plus grandes banques mondiales a été condamnée le 26 février à indemniser ses clients pour le préjudice moral et financier subi avec leur prêt Helvet Immo dont le capital à rembourser augmente au rythme du franc suisse sur le marché des changes.
Devant une agence BNP Paribas à Montpellier. (Photo d'illustration) (PASCAL GUYOT/Photo Pascal Guyot. AFP)
publié le 8 mars 2020 à 14h23

La saga judiciaire Helvet Immo, ces prêts immobiliers toxiques octroyés en francs suisses mais remboursables en euros, va connaître un nouvel épisode. A l'origine de ces prêts qui ont mis dans la panade 4 650 emprunteurs, BNP Paribas Personal Finance (BNP-PF) a été sévèrement condamnée pour «pratique commerciale trompeuse» par le tribunal correctionnel de Paris le 26 février. Mais vendredi soir, Me Ludovic Malgrain, l'avocat de la banque, a indiqué à Libération qu'il venait de «faire appel de la décision au greffe du tribunal». Le jugement en question considère que BNP-PF, filiale à 100% de BNP Paribas, a dissimulé à ses clients le risque de change énorme que comporte Helvet Immo.

En effet, après la crise des subprimes aux Etats-Unis et des dettes souveraines en Europe en 2010, la monnaie helvétique (considérée comme une valeur refuge) s’est envolée face à la devise européenne. Le capital en euro à rembourser par les emprunteurs a ainsi grimpé en flèche, créant des situations financières redoutables pour les ménages concernés. Comme pour ce couple du Rhône qui a souscrit un prêt de 120 000 euros en 2009 pour faire un investissement dans l’immobilier. Depuis, ils ont remboursé avec leurs mensualités 93 455 euros, mais doivent à ce jour 126 077 euros, plus que le capital emprunté au départ ! Et si le franc suisse venait encore à se valoriser, leur capital à rembourser augmenterait d’autant… Une mécanique redoutable.

Dix ans d’angoisse

Le jugement rendu le 26 février, dans une salle d'audience pleine à craquer, par la présidente de la 13e chambre du tribunal correctionnel de Paris, Cécile Ramonatxo, condamne BNP-PF à indemniser les 2 300 clients qui se sont constitués partie civile. Le tribunal considère que la banque a délivré, directement ou par le biais des intermédiaires qui ont commercialisé Helvet Immo, «des informations inexactes et fausses» à ses clients. Les contrats de prêts «n'ont jamais mentionné le risque de change» qui est pourtant l'une des caractéristiques essentielles d'Helvet Immo. Sur les quatre pages et demie consacrées «à l'amortissement du crédit», nulle trace du «mot risque de change», a pointé la présidente du tribunal, lors de l'audience de délibéré. «La BNP-Personal Finance a altéré le comportement économique des particuliers, sans quoi ils n'auraient pas souscrit au prêt.» La banque a été animée par «une démarche de marketing, davantage que d'information.»

En conséquence, BNP-PF devra réparer le préjudice moral causé à ses clients (les angoisses depuis plus de dix ans) à hauteur de 10 000 à 20 000 euros. Ces sommes sont doublées si les emprunteurs sont un couple (le préjudice étant personnel). BNP-PF devra surtout réparer leur préjudice financier. En substance, le tribunal lui ordonne de neutraliser le risque de change. Autrement dit, l’augmentation du capital provoqué par la hausse du franc suisse face à l’euro devra être remboursée aux souscripteurs d’Helvet Immo. Chaque partie civile s’est vue aussi octroyer 3 500 euros au titre de l’article 475 du code de procédure pénale, pour couvrir leurs frais d’avocat. La banque écope en outre d’une amende de 187 500 euros, le montant maximum dans ce type d’affaires. Enfin le tribunal a décidé de l’exécution provisoire du jugement, c’est-à-dire que les indemnités devront être versées aux plaignants sans attendre la décision de la cour d’appel.

Selon Me Charles Constantin-Vallet, avocat de 1 300 parties civiles dans ce dossier, «le coût total des indemnisations décidées par le tribunal pourrait s'élever à une somme comprise entre 100 et 150 millions d'euros». Mais là encore, Me Malgrain a indiqué qu'il va «engager une procédure pour demander la suspension de l'exécution provisoire» du versement de ces sommes. «Un acharnement judiciaire contre les victimes qui ont vu leurs projets de vie bloqués depuis dix ans par ce prêt toxique, déplore Me Constantin-Vallet. Plutôt que se défendre sur le fond, BNP-PF fait de la procédure pour gagner du temps face à ses clients exsangues.»

«Manœuvre de diversion»

Me Malgrain a également précisé à Libération que la banque allait faire «une proposition commerciale à tous les emprunteurs» indépendamment du contentieux. Elle consiste à convertir en euros et à taux fixe leur prêt en francs suisses. «Leur mensualité de remboursement restera inchangée», indique l'avocat. Mais comme le capital qu'ils doivent à la banque a déjà énormément augmenté, la durée de remboursement de leur prêt sera prolongée de cinq ans, en sus de la durée initiale qui est de quinze, vingt ou vingt-cinq ans selon les contrats. Et si à la fin de tout cela, les gens doivent encore de l'argent, la banque fait un trait dessus. «Une manœuvre de diversion, commente Me Constantin-Vallet. Les emprunteurs devront supporter cinq années de remboursement supplémentaires. Ce qui représente entre 36 000 et 70 000 euros de plus à payer pour la plupart d'entre eux. La solution proposée par la BNP-PF sanctuarise en réalité toutes les pertes déjà subies par les clients Helvet Immo». Pour l'avocat des emprunteurs, «la solution de conversion proposée permet juste d'éviter d'éventuelles pertes ultérieures si le franc suisse venait encore à augmenter face à l'euro. Mais les pertes passées ne sont pas effacées».

Il faudra probablement attendre l’année 2021 pour que l’audience de cette affaire devant la cour d’appel ait lieu. La saga Helvet Immo n’est pas près de se terminer.