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Libération
Coronavirus

En France, l’exécutif veut «freiner à fond mais sans bloquer»

Dans le deuxième foyer de contamination en Europe, les autorités cherchent «l’équilibre» entre les mesures sanitaires et le bon fonctionnement du pays.
Lors d’un conseil de Défense à l’Elysée, mercredi. (Photo Thibault Camus. AP)
publié le 8 mars 2020 à 21h21

«Rassurer et protéger». Tel est la ligne martelée par l'exécutif français face à la propagation du nouveau coronavirus. «Protéger» : si le compteur des personnes contaminées et décédées pour cause de Covid-19 s'accélère forcément, les mesures prises par le gouvernement depuis quinze jours ont permis de retarder le passage au «stade 3», celui de l'«épidémie» proprement dite. Reste que la France est, après l'Italie, le principal pays en Europe concerné par la propagation du virus : le dernier bilan fait état de 1 126 personnes touchées par le Covid19 et de 19 décès. Quarante-cinq personnes se trouvaient samedi soir dans un service de réanimation. Mais si le virus est présent dans toutes les régions, il reste encore localisé dans des foyers de contagion bien précis et ne circule pas sur tout le territoire.

Décrets

A l'issue d'un (long) conseil de Défense (le troisième sur ce sujet depuis le début de la crise sanitaire) de plus de deux heures et demi à l'Elysée, le ministre de la Santé, Olivier Véran, a confirmé que la France en restait au stade 2 : «Notre priorité est de tout faire pour ralentir la propagation du virus sur le territoire national. L'épidémie n'a pas, à ce stade, touché tout le pays.» Malgré tout, l'ancien rapporteur du budget de la Sécurité sociale a annoncé l'interdiction de «tous les rassemblements de plus de 1 000 personnes» (contre 5 000 jusqu'ici ; les manifestations ou les concours par exemple ne sont pas concernés).

«Les mesures de confinement, différencié, ont un impact positif», a répété Véran, rappelant que certains départements comme l'Oise ou le Haut-Rhin connaissaient depuis vendredi des mesures plus contraignantes. Ce lundi, crèches et établissements scolaires resteront fermés là-bas. Tout comme celles d'Ajaccio. Le ministre a aussi annoncé avoir signé plusieurs décrets permettant notamment d'«assouplir les conditions de la télémédecine», de rendre possible la consultation d'un médecin sans passer par son référent ou encore de déplafonner les heures supplémentaires à l'hôpital.

Pour ce qui est de «rassurer», l'exécutif a mis le paquet depuis quinze jours pour ne pas être pris en défaut pas des oppositions à l'affût d'un moindre faux pas avant les municipales (15 et 22 mars). Dès l'annonce des premiers cas de patients touchés par le Covid-19, le gouvernement s'est mis en mode com de crise. Emmanuel Macron et Edouard Philippe ont bousculé leurs agendas pour orienter leurs déplacements et temps de travail sur ce sujet. Engagé en parallèle dans une campagne compliquée au Havre, le Premier ministre a multiplié les allers-retours entre Paris et la Seine-Maritime pour ne pas laisser l'occasion à ses opposants de polémiquer sur sa préférence locale alors qu'une pandémie touche le pays. Par ailleurs, la formule trouvée pour communiquer (points presse quotidien du directeur général de la Santé, Jérôme Salomon et ceux, réguliers, d'Olivier Véran) fait office de moment «transparence». Les dirigeants de la majorité qualifiant les deux hommes de «nouveaux François Molins» pour leur côté «rassurant». Quant à Macron, il a perlé ses visites ou réceptions sur ce dossier pour éviter d'offrir l'impression d'en faire trop. Peut-être jusqu'à vendredi… car la sortie de ce jour-là, dans un Ehpad parisien, interroge : le chef de l'Etat appelle les Français à limiter les visites aux aînés, car fragiles et donc susceptibles de mourir si elles contractent le Covid-19. Mais lui, en revanche, s'y rend avec toute une délégation, plusieurs caméras, et se laisse filmer, assis avec les résidents et plaisantant facilement avec eux. A une semaine du premier tour, ces images de sympathie avec des personnes âgées (qui composent traditionnellement une grande partie des bataillons électoraux) avaient aussi un sens très politique. «Ce n'est pas la communication qui dicte nos décisions mais l'état sanitaire du pays, se défend-on à Matignon. On n'est pas là à se demander si on en fait trop ou pas assez. On cherche l'équilibre entre les bonnes mesures à prendre pour empêcher la propagation du virus tout en continuant le pays à fonctionner. Freiner à fond mais sans bloquer.»

 «Pas de psychose»

Lors de sa dernière prise de parole, vendredi soir, le Premier ministre a donc tenté de «dédramatiser» le passage «inexorable» au «stade 3». «Notre système de santé a les moyens d'y faire face, a expliqué le chef du gouvernement. Lorsque le stade 3 adviendra, nous prendrons les mesures nécessaires pour répondre à l'épidémie, pour prendre en charge les malades et assurer la continuité de la vie économique et sociale du pays.» Mais à préparer les esprits à cette nouvelle phase, plus nationale, de la présence du virus, le gouvernement prend aussi le risque, lorsqu'il décrétera le «stade 3», d'alimenter une certaine psychose et le sentiment d'anxiété. «Le stade 3, ce ne sera pas la mise sous quarantaine du pays, affirme-t-on dans l'entourage du Premier ministre. On ne prépare pas "les gens" au stade 3, mais l'organisation des pouvoirs publics. Par ailleurs, il y a certes de l'inquiétude dans la population mais on n'est pas dans une psychose.» Le gouvernement pourra toujours renvoyer ses détracteurs qui pensent que l'exécutif en fait «trop» vers les mesures prises par leurs homologues italiens. «Chaque pays cherche son équilibre, dit-on à Matignon. Mais si on bloque la vie économique et sociale, cela peut aussi avoir des répercussions sur l'état sanitaire du pays.» Et l'état économique : la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a déjà annoncé «un ralentissement partiel de la croissance».