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Municipales

A Nice, une campagne aux airs de promenade pour Estrosi

Grâce à une gauche éclatée et aux tentatives avortées de dissidences à droite, le maire sortant est annoncé grand vainqueur. L’édile azuréen continue au ralenti son travail de terrain sur fond de Covid-19, avec l’espoir d’être réélu dès le premier tour.
Christian Estrosi, de retour de son footing, dans les escaliers menant à son bureau à la mairie de Nice, le 29 février. (Photo Laurent Carré pour Libération)
par Mathilde Frénois, correspondante à Nice Photo Laurent Carré
publié le 10 mars 2020 à 18h56

Christian Estrosi arrive en courant et en survêtement. Il est 9 heures samedi, l'heure du running, et ses «amis du maire de Nice» l'attendent déjà devant sa permanence. Ce matin-là, on ne se claque pas la bise. Egalement proscrits, «les serrages de main et les selfies à tout le monde». La transpiration n'y est pour rien. «C'est un principe de précaution, se justifie le maire sortant de Nice en ces heures d'épidémie de Covid-19. Je vous aime et c'est encore plus fort qu'une bise ou qu'une main serrée.» Les gestes d'affection ne sont pas les seuls à avoir disparu. «Je me retire de plus en plus de mon engagement dans la campagne, explique à Libération l'édile LR en lice pour un troisième mandat. J'ai décidé hier de ne consacrer que 20 % de mon temps à la campagne et 80 % au suivi de l'état sanitaire de la ville

«Machine de guerre»

Sans les sous-titres, on aurait pu penser à de la fausse modestie : largement en tête dans les sondages, Christian Estrosi ne prendrait même plus la peine de faire campagne ? Non : ses équipes s'en chargent, reboostées par des études d'opinion qui vont jusqu'à le donner gagnant dès le premier tour. Depuis cet automne, Christian Estrosi roule vers la victoire sur une route qui s'est dégagée au fil de la campagne. En novembre, Eric Ciotti, son allié d'hier, se désistait après avoir longtemps fait planer l'ombre d'une candidature dissidente même si une liste de droite menée par son ancien premier adjoint Benoît Kandel persiste. Parmi ses adversaires de l'autre côté de l'échiquier politique, aucun ne semble en mesure de faire le poids. D'un côté la gauche est partie divisée, de l'autre le Rassemblement national qui ne rassemble pas autant qu'il espérait. D'après un sondage publié par Nice-Matin, l'ancien identitaire Philippe Vardon cumule 13 % des intentions de vote au premier tour, soit près de 15 points en dessous du score du RN aux européennes dans la ville en mai dernier (28 %). Selon cette étude d'opinion, c'est le parti Nice écologique qui se place en deuxième position avec 14 % des suffrages. Mais sa tête de liste, Jean-Marc Governatori, est mise en cause dans une affaire de logement. Le quotidien local a révélé que sa famille louerait des appartements semi-enterrés et estimés «impropres à l'habitation» par la préfecture. Vraie affaire ou boule puante, cette actualité pourrait affaiblir la candidature de la liste écolo.

Christian Estrosi avec ses partisans, à Nice le 29 février.

Photo Laurent Carré pour Libération

Mais ce qui laisse surtout le champ libre à Christian Estrosi, c'est l'absence de candidature estampillée LREM. Son ancienne adjointe Joëlle Martinaux et le député Cédric Roussel ont tenté de partir avec l'étiquette du parti présidentiel avant de faire marche arrière. «Il y a eu des discussions avec le clan Estrosi. Elles ont tellement tardé que la situation est devenue ingérable, expose Khaled Ben Abderrahmane, figure locale du macronisme. La seule solution, c'était le retrait.» En situation délicate l'an dernier, Estrosi aurait mentionné le souhait d'un accord avec LREM mais, selon le cadre du parti présidentiel, la menace d'une candidature de Ciotti écartée, le maire sortant a pu tranquillement refuser tout soutien.

Dans la course aux municipales, l'élu LR mène tout de même une liste d'ouverture : six colistiers sont présentés comme issus de la majorité. «C'est très difficile de définir ce qu'est un marcheur. La réalité c'est qu'à part une personne, les autres on ne les a jamais vues. Sauf en photo, raille Khaled Ben Abderrahmane. La seule raison qui nous amènerait à appeler à voter Estrosi, c'est le danger des extrêmes. Mais dans la situation actuelle, ce que représente le système Estrosi, c'est tout ce qu'un marcheur doit combattre : la politique qui devient une profession.» L'équipe d'Estrosi s'attache à répéter qu'aucun logo de parti ne sera inscrit «sur les bulletins et les affiches». Preuve ultime de l'ouverture, deux anciennes figures de la gauche ont intégré les rangs d'Estrosi à des places éligibles : Patrick Mottard et Marc Concas. «On a fait le constat selon lequel la gauche était dans l'incapacité de s'unir et de proposer un projet politique. La gauche niçoise est la plus bête de France, maintient Marc Concas, qui avait rejoint En marche dès 2016. Christian Estrosi, c'est une machine de guerre. Il a une équipe de choc. Il vient avec un bilan : j'étais critique sur son premier mandat, je n'ai rien à dire pour le deuxième.»

Des soutiens de Christian Estrosi à la réunion de quartier dans la salle paroissiale Jeanne-d’Arc, à Nice, le 29 février.

Photo Laurent Carré pour Libération

«Dernière ligne droite»

Devant la permanence, on remotive les troupes. C'est qu'il ne faut pas tomber dans la facilité : annoncer Estrosi déjà vainqueur, c'est risquer de décourager certains électeurs le jour J. «La campagne n'est pas finie : les mauvais coups peuvent sortir au dernier moment», se méfie Gérald Fazincani, responsable de la permanence et soixante-septième sur la liste. L'équipe met le paquet sur les seniors et les commerçants. Ils sont précieux : les premiers restent fidèles, les seconds ont la parlote. «Nous sommes dans la dernière ligne droite, réaffirme le directeur de cabinet et désormais onzième sur la liste, Anthony Borré. A cause du virus, il est fort probable que le maire doive alléger son agenda. Il va falloir réduire les réunions et donc accroître les dialogues privés.» Les «amis» d'Estrosi applaudissent. Certains filment les discours pour les relayer en direct sur Facebook. La routine : d'habitude ils se réunissent tous les mois, depuis janvier c'est toutes les semaines. «On est toujours en campagne, confirme Pierre-Paul Leonelli, adjoint et président des Amis du maire. Tenter de gagner au premier tour, ce n'est pas notre leitmotiv. Le principal adversaire pour nous, c'est l'abstention et rien d'autre.»

Après le footing et le passage à la permanence, c'est l'heure de la petite réunion de quartier pour l'édile qui a limité à deux le nombre de grands rassemblements dans sa campagne. «Lors d'un meeting, vous dispensez pendant une heure votre discours, les gens vous écoutent et vous applaudissent, analyse-t-il. Comme je veux jouer vraiment la carte de la proximité, j'ai divisé la ville en 18 quartiers et je veux bâtir le programme à partir de ce que l'on me propose.» Elargissement des trottoirs, création de pistes cyclables, lutte contre les incivilités des motos, installation d'un marché : dans la salle, toutes les problématiques locales sont passées en revue. Et le virus refait son apparition. Avant les questions, Estrosi, qui a annulé réunions et meetings, prend le temps de dispenser ses conseils d'hygiène.

Christian Estrosi lors d’échanges avec des habitants.

Photo Laurent Carré pour Libération