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Une semaine à...

Au Touquet, le commerçant est un expert en anticipation

La ville balnéaire chic du Pas-de-Calais peut voir sa population multipliée par huit les week-ends quand il fait beau. Le commerçant doit savoir gérer ces afflux soudains.
Sophie Hoschedé devant son magasin, rue Saint Jean. (Photo Aimée Thirion pour Libération)
par Stéphanie Maurice, correspondante à Lille. Photos Aimée Thirion pour Libération
publié le 10 mars 2020 à 6h22
(mis à jour le 11 mars 2020 à 11h00)

A l'approche des élections municipales, Libération a passé plusieurs jours dans la commune du Pas-de-Calais, dont 78 % des maisons sont des résidences secondaires. Le territoire doit conjuguer enjeux locaux et touristiques. Rencontres en quatre épisodes.

Episode 1

Le second résident Macron se mêle des municipales

Au Touquet, aux municipales, la gauche n’existe pas. Pas de liste PC, PS ou Verts. Il y a trois listes divers droite et une centriste conduite par Olivier Lebreuilly, investi par La République en marche. Et elle met la zizanie, dans une ville qui avait l’habitude de voter tranquillement pour son maire habituel, Daniel Fasquelle (LR), là depuis 2008, réélu sans difficulté au premier tour avec 56% des voix en 2014. Certes, ce dernier a bien laissé son siège à Lilyane Lussignol en 2017, après avoir été élu député, pour cause de non-cumul des mandats. Mais il est resté, dans l’esprit de beaucoup, le patron du Touquet.

Le Touquet, hors saison, est un gros village de 4 222 habitants, mais avec 5 266 électeurs inscrits sur les listes. Parmi eux, des propriétaires de résidences secondaires, le plus connu étant Emmanuel Macron. Le président de la République a posé en une des Echos du Touquet avec Olivier Lebreuilly, ne cesse de marquer son soutien. Daniel Fasquelle voit rouge : «Emmanuel Macron est chez lui au Touquet, mais il devrait rester au-dessus de la mêlée. Il crée des tensions dans une ville où il vient se reposer, c'est à l'encontre de ce qu'est notre commune.» Juliette Bernard (divers droite), son opposante habituelle, déjà présente en 2014, tacle : «Je déplore que le national s'en mêle, ce sont LREM et LR qui s'affrontent.» Dans cette campagne des municipales la liste de Daniel Fasquelle n'affiche aucune couleur partisane. Ce qui fait sourire Juliette Bernard : «Il est bien Les Républicains, non ?»

Ce n’est pas le seul point sensible. Daniel Fasquelle le dit ouvertement, il est candidat mais ne siégera pas à la tête de la ville. Il compte poursuivre jusqu’au bout son mandat parlementaire et laisser la place à son deuxième de liste, Anthony Jouvenel. Les Touquettois apprécient moyennement : ils veulent un maire présent.

Aux Européennes, LREM est arrivé en tête au Touquet, avec 49,46% des voix, contre 21,39% à LR. Il y a donc un coup à jouer pour La République en Marche. Sur l'échiquier politique local, elle a le programme le plus centriste, avec un volet en faveur des plus démunis. Olivier Lebreuilly, qui dirige avec sa femme un réseau de boulangeries en franchise, en plaisante : «La liste avec la plus grosse fibre sociale, c'est celle avec un chef d'entreprise à sa tête.» Un «en même temps» à la sauce touquettoise.

Episode 2

Le caddy de la discorde

Scepticisme et polémique au Touquet : sur le mythique «rond-point des Sports», entre le club de tennis et le Palais des congrès rénové, trône une nouveauté, le Big Birdie. Une statue de bronze de quatre mètres de haut qui se veut une réinterprétation de l'emblème de la station balnéaire, le caddy. La sculpture présente un homme, casquette sur la tête, drapeau à la main, qui porte le sac de golf de ces messieurs et de ces dames.

Ce caddy, on le voit partout au Touquet, sur les bornes des coins de rue, les mugs, les tickets de caisse… L'artiste touquettois Alain Godon l'a redessiné façon BD et grosse moustache, et l'a doté de deux oiseaux. D'où son surnom, Birdie, un clin d'œil à un coup au golf. L'artiste avait déjà offert une version miniature à la ville en 2014, mais celle-là, on ne peut pas la manquer, et elle est dans la lignée de son autre œuvre dont Le Touquet a hérité : une tour Eiffel un peu penchée, nommée tour Paris-Plage, sur le front de mer. «Le petit-fils d'un de mes clients lui a demandé "Papy, on est arrivé à Disney ?" en voyant la statue», s'exclame une commerçante énervée. «On ne va pas les garder en clientèle future s'ils voient Le Touquet comme cela !»

Le Touquet, le 7 mars 2020. Au rond point des sports, statue de bronze «  Big Birdie »Photo Aimée Thirion pour Libération

A la réunion hebdomadaire du Rotary Club, où on prépare, pour une œuvre caritative, un jeté de caddys en mousse du haut du phare, une tradition du Nord, héritée du carnaval, les avis sont partagés. «C'est de l'art, ça ?» interroge un participant, quand un autre défend son côté «original». Il en a coûté 100 000 euros à la ville, le prix de sa fabrication, l'œuvre étant un cadeau de Godon. Gilles Lequien, le frondeur local, ne dira pas de mal de la statue – Alain Godon est un ami –, mais regrette sa position. Il la verrait plus devant le golf, puisque le Big Birdie ne rend grâce qu'à ce sport, et non sur le rond-point des Sports, par définition hommage aussi au tennis, à l'équitation et à la voile, les autres pratiques de tradition au Touquet.

Daniel Fasquelle, le député, et candidat à la mairie, retient un soupir et explique : «Les Touquettois ont été traumatisés par l'après-guerre, où beaucoup de villas ont été rasées en front de mer.» Tout comme le Royal Picardy, hôtel années folles de grand luxe, détruit dans les années 60 et la piscine art déco, face à la plage, remplacée par un Aqualud que tout le monde appelle ici «la verrue». Fasquelle reprend : «Dès qu'il y a quelque chose de nouveau dans le paysage, ils ont tendance à être réticents.»

Episode 3

Le commerçant, un expert en anticipation

Au Touquet-Paris-Plage, dans le Pas-de-Calais, 4 200 habitants à l’année et huit fois plus l’été et les week-ends de beau temps, le commerçant est un surfeur expert : il doit gérer les grosses vagues d’affluence, la venue des passionnés de l’enduro, les 14 juillet et les 15 août, les lames de fond des vacances scolaires et les clapotis des jours de semaine, surtout l’hiver. Il doit anticiper la demande à venir. Faire des stocks suffisants pour satisfaire ses clients, mais pas trop pour éviter les invendus.

C'est le lot des stations balnéaires, le chiffre d'affaires monte ou descend avec le thermomètre : plus il fait beau, mieux il se porte. Sophie Hoschedé, coprésidente de l'Union commerciale du Touquet, gère deux boutiques de prêt-à-porter et apprécie ce côté fluctuant : «Je n'aime pas trop la routine ; même si je devais aller ailleurs, j'essaierais de retrouver cette âme de bord de mer», rit la brune débordante d'énergie. Ses boutiques sont ouvertes tous les jours, et cartonnent surtout le week-end et le lundi. Car certains prolongent leur week-end. «C'est pour cela que le jour de repos hebdomadaire au Touquet, c'est le mardi, car le lundi, les commerces travaillent bien», explique-t-elle.

Station des quatre saisons

Sophie Hoschedé est franchisée mais ne tient jamais compte des prévisions de vente que lui envoie la marque. «Eux, le dimanche, ils considèrent que nous sommes fermés», se marre-t-elle. Ses parents sont arrivés dans le coin en 1979, pour faire les saisons, et elle a connu la mutation de la station de vacances, avec touristes en juillet et en août, en station de courts week-ends. Léonce Deprez, maire du Touquet de 1969 à 1995, avait réussi à convaincre les commerçants de rester de janvier à décembre avec son concept de station des quatre saisons. Il avait senti la tendance, la multiplication des courts séjours toute l'année. Un vrai challenge pour les commerces car, dans le creux de la vague, en novembre et février-mars, il faut quand même ouvrir et payer charges et employés.

Au Touquet, les prix des loyers commerciaux sont très élevés. Rue Saint-Jean, l'artère la plus fréquentée de la ville, «ça va de 1 500 euros hors taxes pour une petite surface de 15 m2 à 7 000 euros pour un local important de 90 m2», précise Sophie Hoschedé. «On voit arriver de plus en plus de grandes chaînes», remarque-t-elle, qui ont les moyens de s'offrir ces pas-de-porte. La venue de Promod a fait grincer quelques dents, pas vraiment raccord avec l'image haut de gamme du Touquet. Même si les marques de luxe boudent la station : «Ce n'est pas rentable pour eux», souligne Sophie Hoschedé, car la clientèle, plus sportswear, ne suit pas. Pas si riche qu'on l'imagine, Le Touquet.