Y aller, ne pas y aller : combien seront-ils, dimanche, à se poser la question ? En plus des facteurs habituels de l’abstention, jusqu’à 28% des électeurs hésiteront à participer au premier tour des élections municipales par crainte d’être exposés au coronavirus dans leur bureau de vote, selon un récent sondage de l’Ifop. De quoi altérer les résultats du scrutin et, peut-être, donner matière à des recours devant la justice administrative, selon Romain Rambaud, professeur de droit public à l’Université Grenoble-Alpes.
La situation particulière créée par le coronavirus pourrait-elle donner lieu à des recours électoraux ?
Oui, c’est un argument qui me semble mobilisable par un candidat devant la justice administrative. Mais il faudrait une abstention extrêmement forte, et c’est au juge de décider si cette circonstance a eu ou non un impact électoral. C’est difficile à dire car on connaît peu de précédents. Durant les législatives de 1993, à Wallis-et-Futuna [collectivité française du Pacifique, ndlr], un tremblement de terre avait coupé la circulation entre les deux îles. Le juge n’avait finalement pas donné raison au requérant, car il avait constaté l'absence de taux d'abstention plus fort que d'habitude. Mais il n’avait pas non plus écarté l’argument.
Dans quel genre de contexte pourrait-il le retenir ?
Le concept clé est celui de sincérité du scrutin. Il faut démontrer que l’irrégularité ou l’événement en question a eu un impact sur les résultats du vote. En pratique, donc, le juge ne va examiner l’argument que si l’écart entre les candidats est très faible, entre 0 et 1% des voix – et encore, plutôt 0,5 ou 0,6%. Au-delà, il pourrait estimer que, vu l’écart, le résultat n’aurait pas été substantiellement différent dans d’autres circonstances.
Il y a une autre difficulté : que les gens n’aillent pas voter ne crée pas, a priori, d’inégalités entre les candidats. Pour démontrer l’inverse, il faudrait faire de l’analyse différentielle, c’est-à-dire étudier les différentes catégories d’électeurs pour conclure que tel candidat a plus été touché que tel autre. Mais il y a peu de chances que le juge s’y aventure, surtout dans le cas de petites communes. Bref, si un tel recours peut aboutir, il devra passer par un trou de souris.
Ici, c’est non seulement le jour du vote, mais toute la fin de campagne qui a été perturbée par le virus, par exemple avec l’annulation de plusieurs meetings.
Le juge pourra constater ces restrictions aux rassemblements mais dire que la campagne officielle – les panneaux électoraux, les professions de foi adressées aux électeurs – a été assurée. Donc que les gens ont eu la possibilité de se faire un avis informé. Il y aurait un petit côté revanche de l’histoire pour cette propagande en papier que l’on dit inutile et coûteuse. Elle pourrait retrouver un lustre perdu auprès de gens réticents à se rendre en meetings ou même sur les marchés.
Et si un candidat, contaminé, se trouve personnellement empêché de faire campagne ?
Ce serait bien sûr un élément pris en compte. Mais il serait nuancé par le fait que les municipales sont un scrutin de liste, où rien n’empêche ses colistiers de poursuivre la campagne.
Comment garantir la présence d’assesseurs dans les bureaux de vote alors que des cas de désistement ont été rapportés ?
Seuls deux assesseurs sont indispensables pour contrôler les opérations. Faute de volontaires, des conseillers municipaux peuvent être désignés. A défaut, des électeurs peuvent être réquisitionnés, à commencer par le plus âgé et le plus jeune.