A Paris, sur le parvis des Droits-de-l'homme, Emmanuel Macron célèbre ce mercredi, en présence du roi d'Espagne, Felipe VI, la première «journée nationale d'hommage aux victimes du terrorisme». La date retenue correspond à l'anniversaire de l'attentat jihadiste de Madrid du 11 mars 2004, le plus meurtrier jamais commis sur le sol européen avec 191 morts. Selon l'Elysée, le chef de l'Etat tenait à ajouter cette «date européenne» à un paysage commémoratif encore dominé par les conflits du XXe siècle. «Cette décision répond aux demandes exprimées par de très nombreuses victimes et par les associations qui les accompagnent», ajoute la présidence. Qu'ils soient l'œuvre de jihadistes, de terroristes d'extrême droite ou d'extrême gauche, tous les attentats perpétrés depuis le début des années 70 sont concernés par cette commémoration.
Le chef de l’Etat annoncera officiellement la prochaine création d’un «musée-mémorial» qui devrait être installé dans l’agglomération parisienne. Un choix contesté par l’association Mémorial des anges, qui réclame que ce futur lieu de mémoire soit implanté à Nice. Elle a d’ailleurs annoncé mardi son refus de participer à la cérémonie parisienne, au motif que l’actuel chef de cabinet du président de la République, François-Xavier Lauch, en serait l’un des organisateurs. Ex-chef de cabinet du préfet des Alpes-Maritimes au moment de l’attentat de Nice, Lauch a été placé sous le statut de témoin assisté dans l’enquête sur les éventuelles failles dans le dispositif de sécurité le 14 juillet 2016.
La conception du futur musée-mémorial a été confiée à l'historien Henry Rousso. Grand spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, ce dernier s'est intéressé aux politiques de la mémoire dans la France contemporaine. Il répond aux questions de Libération.
Il n’y a pas en France de musée consacré aux victimes du terrorisme. En quoi sa création est-elle importante, d'après vous ?
Des plaques commémoratives existent, des mémoriaux ont été érigés en face du Bataclan ou à Nice. Mais ils concernent des attentats précis. Ce projet est d’une tout autre dimension : ce musée-mémorial portera sur une mémoire nationale, à la fois pour les victimes françaises à l’étranger et pour tous les actes terroristes en France depuis l’attentat du drugstore Publicis, le 15 septembre 1974. La première attaque terroriste aveugle et mortelle commise depuis la guerre d’Algérie.
A quoi sert un tel musée ?
Ce sera un lieu de recueillement, mais pas seulement. Après tous les débats sur les rapports entre mémoire et histoire, on ne peut pas se contenter d'un lieu de commémoration. Le terrorisme est un phénomène historique et social qui remonte au XIXe siècle, mais touche la France depuis environ quarante ans, particulièrement ces cinq dernières années. Les familles de victimes et les associations désirent que ce soit aussi un endroit de connaissance.
En quoi ce travail de transmission est-il nécessaire ?
Il est essentiel d’offrir des éléments de compréhension, d’information et de sensibilisation à un public - le plus large possible, surtout les jeunes - pour expliquer ce qu’est et a été le terrorisme. La connaissance est un vecteur de mémoire. C’est d’autant plus important que le terrorisme a pour objectif de nous empêcher de penser, de nous laisser démunis face à des actes barbares qui nous sont incompréhensibles. Comment la société réagit face à ces attentats ? Quelles sont les conséquences sur notre vie quotidienne ? Aux Etats-Unis, par exemple, si on continue aujourd’hui à enlever ses chaussures lors des contrôles de sécurité à l’aéroport, c’est en raison de la tentative de Richard Reid de faire sauter un vol Paris-Miami avec de l’explosif dissimulé dans ses baskets.
Paris a été frappée en janvier et novembre 2015, Nice en juillet 2016, Toulouse et Montauban en mars 2012… Où ce musée sera-t-il implanté ?
Il paraît important de ne pas l’ériger dans un lieu déjà marqué par un attentat, mais plutôt neutre car il s’agit bien de prendre en compte un phénomène sous toutes ses formes. Il est donc essentiel de construire un espace ayant sa propre identité et accessible au plus grand nombre.
A quel type de terrorisme sera-t-il consacré ?
Toutes les formes seront abordées. Aussi bien le terrorisme politique (d’extrême gauche ou d’extrême droite), le terrorisme «importé» comme celui de Carlos, qui a fait de la France le champ de bataille de conflits extérieurs, que le terrorisme nationaliste. Et évidemment le terrorisme islamiste, qui est de loin le plus meurtrier.
Quelle est la place aujourd’hui de ce travail mémoriel ?
Nos sociétés contemporaines sont des sociétés de mémoire. En tant qu'historien, j'ai pu critiquer certains excès des politiques mémorielles. Mais il aurait été invraisemblable qu'on ne prenne pas en compte ce phénomène terroriste. Le parcours muséographique devrait être articulé autour de quatre thèmes : l'histoire du terrorisme, les réactions politiques, judiciaires et surtout dans notre quotidien après chaque attentat, et le changement de perspective sur les victimes. Ces trente dernières années, leur place a considérablement changé au sein de la société.
Enfin, on s'intéressera aussi à la mémoire. En se projetant dans le passé, on réalise que la mémorialisation - en particulier celle du terrorisme - a pris une importance considérable dans nos comportements et nos politiques publiques. Les politiques de reconnaissance et de réparation n'ont jamais été aussi présentes, et c'est aussi cela que nous voulons mettre en perspective.