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Libération
Éditorial

Progrès

publié le 10 mars 2020 à 21h11

Après l'Italie, la France ? La question d'un passage à des mesures beaucoup plus contraignantes pour la population se pose désormais dans notre pays. Avec le même objectif : limiter le nombre de victimes et, surtout, empêcher un engorgement dramatique de l'appareil de santé publique. Certains, in petto, déplorent cet emballement, ou cette disproportion entre la menace réelle et les plans draconiens adoptés dans un nombre croissant de pays. Ils l'imputent à cet autre effet de la mondialisation : la circulation instantanée des images dramatiques, qui inquiète et mobilise l'opinion, obligerait les gouvernements à agir au-delà de ce qui serait nécessaire. Ce à quoi les gouvernants peuvent répondre : nous préférons en faire trop que pas assez ; nous ne sommes pas prêts à encourir un procès en inaction. Quitte à provoquer une crise économique mondiale, dont les conséquences ne seront pas seulement matérielles. On sait qu'en cas de récession dure, la santé publique peut également être affectée, par exemple à l'occasion des fermetures d'entreprises ou d'une augmentation importante du chômage. Emballement médiatique ? Psychose publique ? Pas seulement. Il y a une autre explication, qui traduit peut-être - paradoxe ultime - une forme de progrès. Au fil des décennies, au sein de nombreux pays, l'attention au sort des individus, seraient-ils minoritaires, en l'occurrence les malades ou futurs malades, a crû de manière spectaculaire. On dit que la vie humaine n'a pas de prix. Certes. Mais ce prix, néanmoins, a augmenté dans la plupart des nations civilisées, démocratiques et même autoritaires. On préfère paralyser un pays, avec les innombrables coûts qui en découlent, plutôt que d'être accusé d'inertie, c'est-à-dire d'avoir sacrifié une partie des personnes contaminées pour éviter un séisme économique. On préfère, in fine, la santé à la croissance. Au risque de passer pour un incurable optimiste, on y verra un progrès de la conscience humaine.