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Libération
Interview

Coronavirus : «Tout le monde est à fond dans les hôpitaux»

Eric d’Ortenzio, épidémiologiste, confirme que la France est mieux préparée que l’Italie pour absorber le choc, mais selon lui, l’épidémie est partie pour durer.
A Paris, le Louvre a fermé deux jours : les employés ont fait valoir leur droit de retrait.  (Photo Philippe Lopez. AFP)
publié le 10 mars 2020 à 21h11

Eric d’Ortenzio est médecin épidémiologiste à l’Inserm et coordinateur du réseau Reacting, un consortium pluridisciplinaire chargé de coordonner la recherche face aux crises sanitaires. Pour lui, l’épidémie de coronavirus va durer.

La France doit-elle redouter un scénario à l’italienne face au coronavirus ?

Il est clair qu’on se dirige vers une épidémie nationale et que le nombre de cas d’infections va aller croissant pour se rapprocher de celui de l’Italie. Mais j’ai l’impression que l’effet de surprise est moindre en France. On se prépare depuis plus longtemps : tout le monde est à fond dans les hôpitaux, un Conseil de défense s’est tenu le week-end dernier, un conseil scientifique a également été mobilisé… On sait que 15 % des personnes infectées vont avoir besoin d’une hospitalisation, plus ou moins longue. Notre capacité à absorber ce choc va dépendre du nombre de cas totaux.

La situation en Italie donne-t-elle des indices sur des erreurs à ne pas reproduire ?

La difficulté avec le coronavirus, c’est qu’on estime que 60 % des cas ne sont pas détectés. Ce qui signifie qu’on «rate» six personnes sur dix, autant de potentiels infecteurs, un phénomène renforcé par le fait que la maladie est parfois très peu symptomatique. D’autres pays vont sûrement être entraînés dans un scénario à l’italienne.

Les autorités françaises cherchent à retarder et étaler dans le temps le pic de l’épidémie. Que pensez-vous de cette stratégie ?

Au début, quand les cas étaient circonscrits aux «clusters», on pouvait se permettre d’investiguer chaque situation pour remonter les chaînes de contamination, limiter les nouvelles infections, et ainsi retarder le pic. L’impact des mesures plus récentes, comme l’interdiction des rassemblements de plus de 1 000 personnes, est plus délicat à mesurer.

Il faut donc se préparer à une épidémie qui dure encore plusieurs semaines ?

L’exemple chinois donne un indicateur sur le calendrier. Cela fait près de trois mois que le coronavirus y est apparu, et le nombre de cas et de décès commence à reculer. C’est à mettre en parallèle avec les mesures drastiques de confinement de la population que les autorités chinoises ont prises, et qui sont désormais reproduites en Italie, peut-être même avec plus de force puisque cela concerne l’ensemble du territoire. En tout état de cause, il faut se préparer à ce que l’épidémie dure dans le temps.

Les mesures de prévention sont-elles la clé ?

Il faut en effet que la population se sente actrice et que chacun fasse ce qui est recommandé, et même rabâché, du lavage de mains à la limitation des gestes sociaux pour se saluer. Tout le monde doit rehausser son niveau de rigueur et de vigilance.

La recherche peut-elle apporter des solutions rapides ?

Pas au niveau d’un vaccin, qui mettra dix-huit à vingt-quatre mois à être développé, si on en trouve un. Mais je fais partie d’un réseau, Reacting, qui a déjà lancé de nombreux projets sur le coronavirus. On a beaucoup progressé dans ce domaine depuis l’épidémie de grippe H1N1 en 2009, puis avec le chikungunya, ebola, zika. On a formé une cohorte de patients infectés par le coronavirus en un temps record. Un essai thérapeutique pourrait être lancé en fin de semaine. Des traitements par antiviraux pourraient être développés d’ici quelques mois. En attendant, on va continuer à prendre en charge les cas les plus sévères de manière classique pour les infections respiratoires, avec de l’oxygène et des intubations si nécessaire.