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Libération
Chronique «Aux petits soins»

Vincent Lambert et ses zones de silence

Vincent Lambertdossier
Deux livres sortent ces jours-ci autour de la vie du patient décédé l'été dernier, levant quelques secrets. Mais était-ce bien utile ?
Manifestation de soutien aux parents de Vincent Lambert, devant le CHU de Reims, le 19 mai 2019. (Fred KIHN/Photo Fred Kihn pour Libération)
publié le 10 mars 2020 à 6h25

Vincent Lambert ne voulait pas que l'on en parle. Sa femme Rachel non plus. Mais tout le monde savait, et le suggérait à demi-mot. C'était un secret, ça ne l'est plus. Vincent est mort le 12 juillet 2019, des suites d'un arrêt de l'alimentation et l'hydratation après avoir été plus de dix ans dans un coma végétatif à la suite d'un accident de voiture, et cette semaine deux livres sortent déjà, l'Affaire Vincent Lambert, enquête sur une tragédie familiale, écrit par une journaliste, et Pour qu'il soit le dernier, de son neveu François Lambert.

Deux livres, et un sentiment de malaise. Certes, ces ouvrages ne sont pas choquants en soi, mais dans cette histoire si longue et si douloureuse, qui a débordé de haines et de rancœurs, on pouvait aspirer à un peu de silence. Non pour tourner la page, mais juste pour que la vie anonyme reprenne sa place. Bref, qu’un peu de distance soit prise.

Enfants adultérins et non-dits familiaux

Pour l'Affaire Vincent Lambert, enquête sur une tragédie familiale, Ixchel Delaporte a fouillé avec obstination la vie de Vincent Lambert et celle de sa famille. Elle est complexe, recomposée-décomposée, entre enfants adultérins et non-dits familiaux, le tout dans un contexte de catholicisme intégriste. Et la journaliste raconte avec précision les agressions sexuelles (1) dont a été victime Vincent Lambert, dès l'âge de 9 ans. Il a été agressé sexuellement par un prêtre de la fraternité Saint-Pie X, une communauté traditionaliste à laquelle appartenaient ses parents.

Dans la famille Lambert, au moment des faits, tout le monde était au courant et savait qui en était l’auteur. Contrairement aux rumeurs, la mère de Vincent Lambert a toujours défendu son fils. Et elle a dénoncé ces agressions auprès de la communauté. Mais, plus tard, Vincent n’a pas voulu porter plainte. Et sa femme ne voulait pas que ce sujet soit public.

La journaliste ne s'est pas arrêtée là. Elle a retrouvé d'autres victimes. Tous ont mis en accusation «un prêtre d'une frange extrême, intégriste de l'Eglise catholique». Selon elle, le prêtre n'est plus à la fraternité Saint-Pie X depuis 2014 mais dans un groupe «encore plus extrême», la Résistance. Et il serait toujours en contact avec des enfants. Pour la journaliste, le fait que Vincent Lambert soit décédé permet «de poser ces réalités de manière moins hystérique qu'au moment de l'emballement médiatique». Ah bon… En tout cas, ce sont ces «révélations» qui ont conduit à faire du buzz télévisuel autour de son livre.

François Lambert était proche de son oncle Vincent

Le livre de François Lambert raconte lui aussi ces faits d’agression. Mais il insiste surtout sur le déroulé juridique des huit années interminables de procédure après l’accident. François Lambert était proche de son oncle Vincent, seules quelques années les séparaient. Et François a eu le mérite de s’être battu depuis le début pour que la volonté de Vincent soit respectée. Découvrant les arcanes du droit, il s’est investi à fond dans le dossier, trouvant des parades pour répondre aux requêtes des parents de Vincent, ce qu’il raconte en détail dans son livre. Il en a profité pour faire des études de droit et devenir avocat.

Mais lui-même le sait, le droit n’a jamais su rendre compte des méandres de la vie, ni de sa complexité ni de ses trous noirs. François Lambert rappelle avec justesse que la première erreur fut d’abord médicale, quand les premiers médecins ont interrompu tous les traitements sans prévenir les parents de Vincent qui, au départ, n’étaient pas opposés à cette décision – ils demandaient juste un peu de temps. A partir de là, ce fut l’affrontement, une tout autre histoire faite de malentendus, de tensions, voire de haines.

Voilà. Ces deux livres racontent enfin l’enterrement de Vincent Lambert, un des rares moments où les médias n’ont pas pu être présents. Finalement, dans les deux cas, on est gêné, frappé par l’absence de tendresse qui en ressort. Mais ce n’était pas, il est vrai, leur objet.

(1) Ixchel Delaporte nous a demandé de préciser que contrairement à ce que nous avions préalablement écrit dans son livre, elle parlait «d'agressions sexuelles» et non «de viols et d'attouchements». Et qu'elle n'est pas la première à en parler, l'avocat de Rachel comme François Lambert avaient déjà évoqué ces faits.