Etrange atmosphère à Lamorlaye (Oise), entre vacances et catastrophe attendue ou redoutée. Après la relative excitation des premiers jours, le week-end de ce début mars avec l’avalanche d’annonces de fermeture et d’interdiction, l’ambiance est de plus en plus étrange et morne. Il y a les cris d’enfants dans les jardins d’à-côté à l’heure de l’école, des mères à vélo avec leurs mômes dans la forêt un mardi midi, des joggeurs, des cyclistes, des marcheurs en plus grand nombre, pour des jours de semaine, que d’habitude. Les restaus ne sont pas pleins, il n’y a personne en voiture sur les routes entre les villages, c’est le moins qu’on puisse dire. La distrib de l’Amap a dû se faire dans un hangar privé, les rassemblements étant interdits, comme les clubs de sports, ou culturels, ou de jeux, les assos, biblis, etc., fermés et leurs activités suspendues : pas de ciné-club, pas de réunion, château et parc fermés, pas d’expo…
Ce n'est pas tant que la ville de 10 000 habitants soit d'habitude une mégapole ultra active mais le quotidien semble endormi, ralenti, les gens absents, personne ne traîne en ville, on pratique pas mal le drive et la vente en ligne, et Jacqueline, 75 ans interdite de club de belote, râle qu'elle n'ose plus sortir bavasser avec les copines en ville. Une amie qui devait aller enterrer son beau-frère dans l'Essonne a dû demander l'autorisation de venir de Lamorlaye… Une autre s'est vue refuser une radio à Chantilly. Même pas de grappes de collégiens glandant sur le parking du Lidl avec leurs larcins. Confinés quoi. Les copains et la famille de l'extérieur du cluster téléphonent ou envoient des mails, inquiets, des «Ça va ? T'as besoin de rien ?». Limite colis marraines de guerre, quoi.
Baby-sitters gratuits
Dans une des grandes surfaces de la ville (le Carrefour Market, fermé trois jours pour cause de virus détecté chez un employé, a rouvert et le petit marché bihebdo réautorisé, les gens trouvant curieux de laisser ouverts de grands magasins fermés et de fermer des marchés ouverts), ce mercredi, on discute avec la caissière, ébaubie du peu de monde pour un jour de semaine : «Les gens ont fait d'énormes Caddies lundi matin, des pâtes, du riz, des œufs, parfois jusqu'à 1 000 euros», dit la jeune femme, contente d'avoir ses légumes de son potager mais impatiente d'avoir des poules.
On en est là, à causer autarcie et autosuffisance ? Non, répond une autre, «c'est pas la Syrie non plus, faut se calmer. Mais les gens ont besoin de plus de provisions, d'abord pour faire les stocks mais aussi parce que toutes les familles confinées toute la journée, ça fait un repas de midi en plus. Et sur toute la semaine, ça compte». Pas d'école, pas de lycée, pas de cantine, les enfants sont terrés chez eux avec les parents en télétravail (ceux qui le peuvent, certains ont dû demander des arrêts de travail) et lesdits parents se félicitent d'avoir Internet, Netflix, les ordis, bref les baby-sitters gratuits. Pour ceux qui ont, parce que la situation a aussi révélé une relative fracture numérique dans le département.
Parce que ce ne sont pas les vacances, on redécouvre la joie du tous-ensemble en famille tout le temps, ce qui est loin d’être évident. Les élèves apprennent le télétravail et la discipline du travail tout seul avec soi-même et sans voir les copains (tout est fermé, dont le city stade) et certains ados sont en plein décalage horaire, dormant tout l’après-midi et peu la nuit, déboussolés de ne pas avoir d’emploi du temps. En 24 heures, les annonces pour aide aux devoirs se sont multipliées sur les sites des villes.
Crécelles de lépreux
Outre l’ennui, l’isolement et l’inquiétude, l’agacement des parents obligés de matraquer les gosses pour bosser, on voit aussi de la solidarité, des propositions de garde entre parents, de cours gratuits aussi en échange d’autres services, on fait les courses pour les plus âgés qui ont un peu la trouille de sortir. Les cantines fermées ont donné les repas au Samu social de l’Oise, les petits artisans locaux interdits de marchés font un peu de retape sur Facebook (chaque ville a sa page pour communiquer), alors on achète comme ça, aussi, pour les aider. On truande un peu en contournant les interdictions de se rassembler en faisant les réunions dans les restos alentour. On en a même vu qui sont partis à la seule piscine ouverte car hors département de l’Oise, mais dans le Val-d’Oise, à 7 kilomètres, alors même que nous ne devrions pas sortir sans nos crécelles de lépreux.
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Certains labos, cabinets de radiologie ou cliniques ont refusé des patients du cluster morlacuméen, des affiches sur les bibliothèques à Paris indiquent que nous ne sommes pas les bienvenus, on se sent un peu pestiférés. Certains commencent à s’énerver grave sur les réseaux sociaux au sujet de l’«Oise-bashing», criant qu’on n’est pas des lépreux. On se demande comment ça va tourner, est-ce qu’on peut organiser les festivités, réunions, fêtes, rassemblements habituels du début du printemps, est-ce qu’on peut prévoir des trucs, puisque les maîtres-mots ici, c’est «annulé» ou «interdit».
On rigole aussi un peu, en faisant semblant de tousser en arrivant chez les copains, en se faisant touche pied-pied pour dire bonjour, en s'échangeant de foutraques recettes de gel hydroalcooliques (plus rien ici, alors c'est vodka/aloe vera ou alcool à 90°/glycérine, et donc les mains en feu), mais enfin, comme le dit l'une des pharmaciennes de la ville, «c'est bien plombant tout ça». Oui et pour combien de temps on en a, surtout ?