Aux alentours de 13 heures, à l’heure de pointe pour la trentaine de magasins de la Galerie Masséna, au cœur du quartier asiatique du sud de Paris, les escalators et les allées sont quasi déserts ce mardi. Une centaine de personnes naviguent, derrière leurs masques de protection pour la moitié d’entre eux, entre les rayons de l’hypermarché Géant Casino, une poignée entre les étals de fruits et légumes du primeur Fructidor ou encore dans le magasin Star Massena Surgelés. Un silence assez inhabituel rôde et les clients sont distants les uns des autres. Sauf dans les bars comme celui de la Gatinaise où les regards convergent vers l’écran diffusant le tiercé et les mains se tendent vers les pintes de bière.
Du côté des commerçants, les mines sont défaites. Ils expliquent que le coronavirus ne vient qu'aggraver ce que les gilets jaunes et la grève de la RATP avaient déjà enclenché : une baisse significative de la clientèle. Tatoué sur les bras, un écouteur dans l'oreille, Alex, 34 ans, responsable du traiteur asiatique Vinh Express à l'enseigne rouge et verte, est plutôt remonté contre les médias qui font essaimer la peur chez les Parisiens. «Il y a autant de risques dans ce quartier que dans le Nord-Pas-de-Calais mais il n'y a que les habitués du quartier qui continuent de venir. Les autres ont peur.» Autre difficulté : la marchandise. «Des produits de l'étranger manquent chez les grossistes qui nous livrent», dit-il avant de servir deux rouleaux de printemps au seul client qui se sera présenté pendant la conversation.
«Les gens évitent les centres commerciaux»
Pour le primeur, Faouzi, 52 ans, c'est la «catastrophe» qui s'abat sur son commerce depuis le mois de janvier. Tout en balayant du regard les rayonnages de marchandise délaissés, il dit: «Les gens évitent les centres commerciaux surtout dans ce quartier parce qu'il est asiatique, mais ça n'a rien à voir. De toute façon, moi, je crois au destin», ajoute le Français d'origine tunisienne en haussant les épaules, un léger sourire aux lèvres, avant de retourner à ses cageots. Trina, la quarantaine, caissière chez Star Massena Surgelés, n'a pas l'air très inquiète non plus. «C'est comme une grippe saisonnière», lance-t-elle tout en s'aspergeant les mains, tout de même, de gel hydroalcoolique.
A la Gatinaise, la boulangerie qui fait face au bar et se trouve devant la brasserie du même nom où andouillettes et sushis composent le menu, Stéphane, 39 ans, constate une baisse progressive de la clientèle, 60% depuis janvier. Mais pour lui, tous les centres commerciaux souffrent de la même manière. «Avant-hier, je suis allé faire des courses au Kremlin-Bicêtre dans un autre centre et c'était désert aussi.» Cela dit, à titre personnel, il regrette que son apparence asiatique (il est d'origine cambodgienne) ait une incidence sur des gens qui s'éloignent de lui. «C'est difficile parce qu'on ne peut rien dire car ce n'est pas du racisme, seulement de la peur.»
Une fréquentation à géométrie variable
Pour ce qui est des commerces spécialisés comme Aqua Point qui vend des poissons d'ornement et des plantes aquatiques, une vendeuse, pas vraiment disponible à cause de l'arrivage de poissons, explique au milieu de ses aquariums : «Les clients qui achètent viennent toujours mais pas les clients potentiels qui sont de passage le samedi avec leurs enfants, par exemple.»
Le supermarché asiatique Chen Market, lui, ne désemplit pas. To, 40 ans, responsable du magasin, constate que l'affluence de la clientèle est en train de se stabiliser alors qu'elle était en hausse depuis deux semaines, avec un pic le samedi. «Les gens se préparent, ils font des réserves à base de nouilles instantanées, de riz, de farine : tout ce qui se conserve, explique-t-elle. Notre clientèle, surtout asiatique, vient du quartier mais aussi d'ailleurs et de banlieue. Du coup, ils font en sorte de limiter leurs déplacements.» Elle ne craint pas pour autant de rupture de stock pour l'instant : «Quand les clients voient des étagères qui se vident, ils s'inquiètent, ça crée un effet alors qu'on a juste besoin d'un peu de temps pour se réapprovisionner et nos commandes viennent de grands distributeurs en France et pas d'Asie.» Non loin de la galerie, le marché asiatique Europasie est logé à la même enseigne au niveau de l'affluence et du type de panier, selon une cuisinière qui y prépare des plats, Sokun, 46 ans.
Les restaurants qui longent l’avenue de Choisy et l’avenue d’Ivry sont clairsemés, y compris les enseignes asiatiques emblématiques comme le Tricotin ou le Chine Masséna, qui fait aussi karaoké. Ces derniers auraient vu plus de la moitié de leurs tables se vider, surtout le soir, selon des serveurs qui préfèrent rester anonymes.