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Justice

Affaire Le Scouarnec : «Ce n'est pas un manque de courage, c'est juste l'application de la loi»

Procès Le Scouarnecdossier
Le procès de l'ancien chirurgien, 69 ans, accusé d’agressions sexuelles et de viols sur mineures, s’est ouvert, ce vendredi, devant la cour d’assises de Charente-Maritime. La présidente a prononcé un huis-clos total.
Maitre Thibaut Kurzawa lors du premier jour du procès du chirurgien Joël Le Scourarnec, à Saintes, le 13 mars. (Photo Yohan Bonnet pour Libération )
publié le 13 mars 2020 à 16h12

Le vieux monsieur au crâne dégarni entouré d’une couronne de cheveux blancs, balaie la salle du regard, il promène ses yeux noirs sur les visages inconnus dans le public et s’arrête, à peine, sur ceux, plus familiers, de deux jeunes femmes. Il n’a pas revu ses nièces depuis cinq ans. C’était lors d’un repas pour célébrer les 90 ans du patriarche de la famille. Aujourd’hui, elles sont assises sur le banc en bois clair de la cour d’assises de Charente-Maritime, à Saintes, et l’accusent d’agressions sexuelles et de viols dans leur enfance.

«Carnets noirs»

Plus généralement, Joël Le Scouarnec, 69 ans, ancien chirurgien, comparaît – ce vendredi et jusqu'à mardi prochain – pour des abus sexuels sur quatre mineures : ses nièces qui avaient 4 ans environ au moment des premiers faits, une patiente de 4 ans et sa petite voisine âgée de 6 ans quand elle l'a dénoncé en 2017, mettant fin à trente ans d'impunité. Ce n'est que le premier volet de cette colossale affaire de pédocriminalité. Une instruction est toujours en cours à Lorient concernant les «carnets noirs» de l'accusé, son journal de bord qui sert désormais aux enquêteurs à identifier des centaines de victimes potentielles, la plupart abusées alors qu'elles étaient hospitalisées.

Photo Yohan Bonnet pour Libération

De ce premier procès, il ne restera dans la mémoire du public que quelques brèves images, des instantanés de début d'audience : deux femmes d'une trentaine d'années qui entrent, le visage brouillé par l'émotion, et évitent de croiser le regard de celui qu'elles appelaient, il y a longtemps, «tonton Joël» ; les voisins du chirurgien à Jonzac qui sont là au nom de leur fille et se tiennent l'un contre l'autre, soudés par «une terrible douleur» pour reprendre les mots de leur avocate, Me Francesca Satta. Ou encore une jeune femme brune, qui était en 1993 une fillette endormie sur un lit d'hôpital à Loches après avoir été opérée pour une pancréatite aigüe. Elle ne se souvient de rien, ne reconnaît certainement pas le septuagénaire à la silhouette un peu bedonnante, pull gris et lunettes, qui a brièvement décliné son identité d'une voix indistincte. Puis la porte de la cour d'assises s'est refermée sur le vieux monsieur au crâne dégarni. L'audience se tiendra à huis clos total, a décidé la présidente, Isabelle Fachaux, reléguant le public et la presse à l'extérieur.

Huis clos total

Les avocats des parties civiles étaient divisés sur la question. Fallait-il bouter hors de la salle d'audience le petit monde extra-judiciaire pendant toute la durée du procès ou seulement pendant les dépositions sensibles ? Autrement dit : huis clos total ou partiel ? «Je demande le huis clos total dans l'intérêt de mes clientes compte tenu de leur âge et de la nature des faits, a soutenu Me Delphine Driguez, qui représente les deux nièces de Joël Le Scouarnec. Je vais devoir montrer certaines photos insoutenables pour demander une requalification des agressions sexuelles en viols.» Et d'ajouter : «Je pense, qu'en plus, la publicité des débats pourrait procurer un certain plaisir à Joël Le Scouarnec.» Au contraire, Me Francesca Satta comme certains représentants des associations de protection de l'enfance, également parties civiles, a plaidé en faveur d'un huis clos partiel. «Le public a besoin de savoir ce qui a pu se passer», il en va «de la transparence de la justice», mais aussi de la fin de ce long «silence qui a profité à l'accusé», a-t-elle expliqué. D'autres confrères ont souligné le risque d'un procès parallèle qui se tiendrait sur les marches du Palais.

Photo Yohan Bonnet pour Libération

Suivant l’avis de l’avocat général, Mathieu Auriol, qui a fustigé des «dérives médiatiques» sans en donner le détail, la présidente de la cour d’assises a décidé que la salle serait hermétique au public et à la presse. «Ce n’est pas un manque de courage. C’est juste la stricte application de la loi…» a-t-elle précisé. Pendant trois jours, les jurés vont donc être les seuls à entendre les récits des parties civiles, les dépositions des experts et des témoins ainsi que les explications de l’accusé qui vivait à Jonzac, complètement reclus au milieu de poupées et d’une vertigineuse collection de matériel pédopornographique, quand il a été arrêté. Ils vont essayer de comprendre comment ce chirurgien respecté, qui a fréquenté une douzaine d’établissements, a pu agir pendant trente ans en toute impunité, comment s’est construite une omerta familiale autour de la parole de ses nièces qui avaient dénoncé les faits en 1999. L’accusé – qui, durant l’instruction, a reconnu les agressions sexuelles mais nié les viols – «entend s’expliquer et s’exprimer librement», a précisé son avocat, Me Thibaut Kurzawa. Il encourt une peine de vingt ans de réclusion criminelle.