Fallait-il voter malgré tout ? Ou reporter ces élections ? Plus que les succès des uns et que les échecs des autres, la question était dimanche soir au cœur de tous les commentaires. Samedi, le passage au stade 3 de la riposte sanitaire contre l’épidémie a déclenché un tir de barrage de nombreux responsables politiques, réclamant la fermeture des bureaux de vote pour raison sanitaire. Trop tard. Au moins pour le premier tour.
«Organisation possible»
A mesure que le Covid-19 accélérait sa progression, la question du report des municipales s'est posée avec de plus en plus d'acuité pour le couple exécutif. A deux reprises, il a fini par y répondre par l'affirmative. Une première fois jeudi, quand Emmanuel Macron a annoncé au pays la fermeture «jusqu'à nouvel ordre» de tous les établissements scolaires. Et de nouveau samedi, quand Edouard Philippe a décrété la fermeture immédiate des restaurants, bars, discothèques et cinémas. Jeudi, le chef de l'Etat avait été formel : «J'ai interrogé les scientifiques sur nos élections municipales. Ils considèrent que rien ne s'oppose à ce que les Français, même les plus vulnérables, se rendent aux urnes.» Le Premier ministre a tenu le même discours samedi : «Nous avons à nouveau sollicité le conseil scientifique au regard des dernières évolutions de l'épidémie. Ils nous ont confirmé que le premier tour pouvait se dérouler demain en respectant strictement les consignes de distanciation et de priorisation des personnes âgées et des personnes fragiles.»
Installé le 12 mars et présidé par le professeur de médecine Jean-François Delfraissy, le conseil scientifique est composé de dix experts, parmi lesquels des infectiologues, un virologue, un épidémiologiste et un médecin généraliste. Une synthèse des travaux de ce conseil devrait être rendue publique ce lundi. Si ces spécialistes ont considéré que l’organisation du scrutin était «possible», il ne leur appartenait pas de dire si elle était souhaitable. Sur cette question, Macron a apparemment hésité. L’hypothèse du report lui a en tout cas paru suffisamment sérieuse pour qu’il consulte à ce sujet une grande partie des responsables politiques avant de s’adresser aux Français jeudi. S’il n’a jamais fait aucun doute qu’il avait longuement appelé le président LR du Sénat, Gérard Larcher, le patron du PS, Olivier Faure, a fait savoir dimanche qu’il n’avait plus eu de contact avec l’exécutif après la réunion à Matignon jeudi matin. La consultation présidentielle s’est soldée sur un verdict sans appel. Furieux, le chef de LR, Christian Jacob (qui a depuis été testé positif au Covid-19), a soupçonné le gouvernement de vouloir «utiliser la crise sanitaire pour éviter une débâcle électorale». Ce serait un «coup d’Etat», s’est-il indigné, à l’unisson de la députée LFI Danielle Simonnet, très remontée contre ce «coup de force anticonstitutionnel».
«Gestion erratique»
Cette fin de non-recevoir et cette union nationale impossible imposaient le maintien des municipales. Samedi, après l'annonce des nouvelles mesures sanitaires, plusieurs maires sortants et pas moins de six présidents de région - dont Xavier Bertrand (Hauts-de-France) et Valérie Pécresse (Ile-de-France) - ont appelé à un report du scrutin. Tout comme le PS, pour qui la «gestion erratique» de la crise «crée les conditions d'une remise en cause du rendez-vous démocratique».
Au sommet de l’Etat, on assure au contraire avoir «anticipé» les réponses à la crise. On s’est étonné que ceux qui criaient au «coup d’Etat» jeudi réclament in extremis le report du scrutin. Le président du Sénat, Gérard Larcher, justifie ce revirement : «Si la décision de passer au stade 3 avait été prise jeudi, la question du report aurait été justifiée. Mais il n’en était alors pas question.» A la sortie de son bureau de vote du Touquet, Emmanuel Macron a répliqué : «Je pense qu’il est important de voter dans ces moments-là. Je suis garant de la sécurité, de la santé de nos concitoyens, mais également de la vie démocratique de notre pays. On va continuer à sortir pour aller faire ses courses.» Soit exactement l’argument du président LR de la commission des finances, Eric Woerth, jeudi. «Faire la queue dans un supermarché, ce n’est pas tellement différent de faire la queue devant un isoloir», disait-il alors. Dimanche soir, on était plutôt soulagé par le taux de participation, faible mais pas catastrophique. Comme si, en se mobilisant à un niveau comparable à celui d’un scrutin législatif, les électeurs avaient - en partie - approuvé le maintien des municipales.