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Epidémie

Coronavirus : «Appeler le Samu pour un nez qui coule, ce n'est pas possible»

Puisque ses cours sont suspendus, Antonin, étudiant en médecine, est venu prêter main-forte aux régulateurs du Samu, débordés par les appels, souvent angoissés, au sujet du Covid-19.
Au centre d'appel du Samu de l'hôpital Necker, à Paris, le 10 mars. (POOL New/Photo Ludovic Marin. Pool. Reuters )
publié le 16 mars 2020 à 12h18

Antonin, 19 ans, est étudiant en deuxième année de médecine à l'université Paris-XIII. Depuis ce lundi, sa fac est officiellement fermée et ses cours annulés. Alors, quand il a reçu la semaine passée un mail proposant d'aller prêter main-forte (bénévolement) aux médecins du Samu de Seine-Saint-Denis, il n'a pas hésité. Vendredi, les quelque 70 volontaires sur les 400 étudiants inscrits en deuxième ou troisième année ont bénéficié d'une formation express. Deux heures consacrées à un «point sur le Covid-19» puis une présentation du logiciel utilisé par le Samu, afin d'être opérationnel au plus vite. Cela n'a pas traîné. Samedi, Antonin a été réquisitionné pour une vacation matinale qui, à l'origine, ne devait durer que quatre heures. En réalité, le jeune homme en fera le double, répondant au téléphone de 8 heures à 16 heures depuis la salle de crise de l'hôpital Avicenne à Bobigny. Avant de se remettre au boulot ce lundi, il raconte à Libération cette première expérience.

«Drapeau rouge»

«La gestion des appels au 15 se fait en trois étapes. En première ligne, un régulateur est d’abord chargé de faire le tri entre les appels liés au coronavirus − 90 % au moins du volume total − et les autres. L’objectif, c’est de ne pas manquer un appel pour un cas grave hors Covid-19, comme un arrêt cardiaque. En deuxième lame, un autre régulateur est chargé de distinguer s’il s’agit d’une forme grave ou bénigne. En clair, si les symptômes sont de la toux et de la fièvre ou bien si on a affaire à une détresse respiratoire. Sur le logiciel, c’est signalé par un drapeau rouge, pour les cas graves, dont vont s’occuper les médecins seniors ou les internes, ou par un drapeau jaune, notre boulot pour nous les étudiants.»

«Ces personnes estampillées "drapeaux jaunes", on doit les rappeler une à une. Samedi, j’ai dû passer une cinquantaine de coups de fil. Pour se faire une idée, quand je suis parti en milieu d’après-midi, le Samu 93 avait déjà reçu plus de 3 500 appels. On s’efforce de rassurer, et si jamais on nous pose des questions auxquelles on ne peut pas répondre, il y a toujours un titulaire dans la salle de crise qui peut s’en charger. Samedi, j’ai parlé avec une femme d’une quarantaine d’années, en pleurs, aux propos assez incompréhensibles. Je me suis dit que ça aurait pu être ma mère, qu’il fallait lui apporter des informations et la rassurer. Je lui ai conseillé d’éteindre la télévision, parce qu’elle était scotchée aux chaînes d’information en continu, c’était très anxiogène pour elle.»

«On se rend compte que notre parole a un poids»

«Il y a une part non négligeable d'appels qui sont passés pour des symptômes très légers. Joindre le Samu pour un nez qui coule, comme le cas s'est présenté, ce n'est pas possible. Ou un jeune de 19 ans qui tousse un peu, bon… Il faut être responsable, parce qu'en agissant comme ça, on bloque toute la chaîne. D'autant que souvent, le numéro vert permettrait de répondre à bien des interrogations. Mais dans 90 % des cas, les gens ne le connaissent pas. Aujourd'hui, quand un appel est passé au 15, la seule question qui compte, pour les régulateurs, c'est la nature des symptômes. Que les gens aient ou non le coronavirus, peu importe au fond, parce qu'une partie très importante de la population va être contaminée de toute façon. Ce qu'on veut savoir, c'est s'il y a des difficultés respiratoires. Fièvre, toux, courbatures, c'est chiant, d'accord, mais jusque-là, c'est semblable à la grippe. Malgré ce stress ambiant, on se rend compte que notre parole a un poids. Si on dit aux gens de rester confinés, ils nous écoutent.»