Une situation rigolote en pleine période angoissante. Au lendemain du premier tour des municipales, les roses et les verts se disputent la ceinture du champion des gauches. Ils lèvent tous les mains vers le ciel comme des boxeurs à la fin d’un combat. Ils bluffent afin de peser sur la décision des arbitres. Pas la peine d’attendre la vérité du second tour qui a été reporté. Les socialistes d’un côté et les écologistes de l’autre déballent leurs arguments. Les premiers prouvent qu’ils gardent la main dans leurs fiefs (Paris, Clermont-Ferrand, Rouen, Rennes, Nantes et Lille). Les seconds expliquent qu’ils sont la véritable alternance au macronisme et à la droite (Strasbourg, Lyon, Lorient, Bordeaux et Tours).
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La réalité ? Personne ne peut y arriver seul. Le rose a besoin du vert pour gagner. Le contraire marche aussi. Ces dernières années, une scène est devenue presque routinière. Le «baron noir», Julien Dray, enchaîne les plateaux télé les soirs d'élections avec une mine de perdant. Il tente d'expliquer à ses contradicteurs que les socialistes restent debout et que l'avenir sera un peu plus rose. Mais personne n'y croit vraiment. Des paroles en l'air. Dimanche soir, le destin a décidé de lui mener la vie dure. Au bout du fil, il rigole : «On perd toutes les élections depuis les municipales de 2014 et aujourd'hui on se fait voler notre victoire par un virus.»
Trouille de la gamelle
Julien Dray reprend un ton plus sérieux pour analyser le scrutin : «Il y a le bémol de la participation mais ce premier tour est porteur d'espoir pour la gauche unie. Partout où le PS a tenté de jouer l'unité, ça a payé.» Le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, raconte la même histoire. Ça donne : «Le bilan est très positif pour nous, il valide ce qu'on répète depuis des mois : nous réalisons de très bons scores dans toutes les configurations, que ça soit lorsque nous portons une liste ou bien lorsque nous sommes derrière les écolos.»
Les Verts ont également la banane. Ils avaient la trouille de la gamelle après le joli score des européennes. Le secrétaire national d'Europe Ecologie-les Verts avait l'air soulagé dimanche soir, très tard, sur le chemin du retour après sa tournée des plateaux télévisés. «Ce vote, c'est celui de la confirmation pour nous», souffle-t-il avec une petite voix. Celle du soulagement. Le député européen David Cormand a eu le temps d'analyser tous les résultats dans la nuit et au lever du soleil. Le confinement, ça aide. «L'enseignement principal pour nous, c'est que nous battons nos records presque partout et dans tous les cas de figure, seuls ou avec des partenaires de gauche derrière nous. Et nous avons prouvé à tout le monde que les écolos sont en capacité de conduire des listes», dit-il.
L'ancien secrétaire national n'oublie pas de glisser un chiffre, celui du dernier sondage Ifop : 28 % des électeurs écolos disent qu'ils se sont abstenus «à cause» du coronavirus. Soit le plus grand nombre de Français devant les électeurs du Rassemblement national (27 %) et du Parti socialiste (19 %).
Cas par cas
Le leader médiatique des écolos, Yannick Jadot, n’a pas étalé ses muscles à l’annonce des résultats. Tout à la construction de son personnage de présidentiable, le député européen a pris de la hauteur face à l’épidémie en demandant le report du second tour très tôt dans la soirée. Pas de polémique, pas de sourire ou de joie alors que le pays est en panique.
Sur le score des siens, Yannick Jadot ne se montre pas très étonné : «Les écologistes font de très bons résultats presque partout et sont en ballottage favorable dans plusieurs villes. L'écologie n'est plus une force de témoignage ou d'appoint, c'est une force de solutions et de gouvernement.» Certains socialistes mordillent les mollets de l'écologiste, un petit sourire en coin. «Les écologistes ont fait un très bon score, personne ne peut le nier. Mais Yannick Jadot misait sur une grande vague verte qui écrase tout le monde, notamment à gauche, et là, il se rend compte que les socialistes existent toujours et qu'ils progressent», lâche Julien Dray.
Quant au premier secrétaire du Parti socialiste, il répète son refrain favori : «Personne ne peut y arriver seul. Ni nous ni eux, j'espère que tout le monde s'en souviendra à l'avenir.» Il ne devrait pas y avoir de nombreux désaccords pour le second tour des municipales, quelle que soit sa date. Les gauches s'allieront pour gagner et s'affronteront (seulement) lorsque la victoire sera sûre de finir dans le panier des rouges, des roses ou des verts.
«J'espère que nous pourrons trouver un accord global lors des prochaines régionales», glisse, déjà, Olivier Faure. Le débat est encore ouvert chez les écologistes. Actuellement, la tendance est au cas par cas en fonction de la menace du Rassemblement national. Personne ne souhaite le dire tout haut mais ce qui se joue vraiment, c'est la course à la présidentielle.
Un dirigeant socialiste fulmine : «Ce que ne veut pas dire Yannick Jadot, c'est qu'il rêve de nous voir à terre pour qu'on se range derrière lui la tête baissée à la présidentielle.» Lundi matin, un écolo disait presque la même chose : «Le Parti socialiste a de nouveau de l'appétit, ils se remettent à penser que tout va se jouer autour d'eux à la présidentielle.» On n'est pas sortis de l'auberge.