Un goût étrange. Les écologistes réalisent des top scores mais ils ne sautent pas au plafond. La soirée n'est pas à la fête. L'épidémie qui frappe le pays freine la joie. L'ancien secrétaire national d'Europe-Ecologie - les Verts David Cormand se justifie : «Les résultats des écologistes sont historiquement hauts mais le contexte sanitaire dans lequel nous nous trouvons ramène légitimement au second plan le suffrage du premier tour.»
Sandra Regol, la numéro 2 du parti, est sur le même ton : «Il est très difficile de se réjouir de la confirmation des bons scores des écologistes, qui confirment et renforcent le vote des européennes en pleine épidémie. On pense aux malades, aux soignants, aux risques si le deuxième tour était maintenu.»
Un peu plus tôt dans la soirée, Yannick Jadot, député européen et leader médiatique des écolos, était intervenu sur les plateaux télé avec une mine grave pour demander le report du second tour. «La pandémie a évidemment perturbé profondément le premier tour. La priorité, c'est la santé. Nous devons garantir la cohésion et l'unité du pays en mobilisant les Français contre le péril. Dans ces conditions, la campagne de second tour semble impossible, comme la tenue de milliers de bureaux de vote alors que des mesures drastiques de confinement devraient être annoncées», dit-il à Libération. Pas facile de faire sourire un dirigeant écologiste dimanche soir. Le secrétaire national, Julien Bayou, a aussi le visage fermé.
«Ancrage». Lorsqu'on gratte un peu plus, les analyses tombent. Une tête pensante : «Les résultats sont à la hauteur des attentes, on se dit même que dans un contexte normal, le score global aurait pu être plus beau.» Les écolos arrivent en tête dans plusieurs villes. Et pas des moindres : Strasbourg, Besançon, Bordeaux (ex aequo), Grenoble et Lyon. «Les écologistes font de très bons résultats presque partout et sont en ballottage favorable dans plusieurs grandes villes et villes moyennes. L'écologie n'est plus une force de témoignage ou d'appoint, c'est une force de solutions et de gouvernement. Une force politique majeure au cœur du paysage politique», dit Jadot. Stéphane Pocrain, conseiller des écolos, souffle que l'écologie est en train de «réussir son ancrage dans le pays» malgré un contexte «anxiogène qui a favorisé les maires sortants». Comprendre : le joli score des européennes n'est pas un simple coup de bol. Les dirigeants verts parlent de «confirmation». Ils ne savent pas encore si le second tour aura lieu mais ils voient plus loin, notamment les régionales et la présidentielle.
Une réalité reste très forte : ils ne peuvent gagner aucune de ces villes comme des grands. Les écolos vont devoir s'asseoir avec les autres forces de gauche afin de fusionner, notamment à Strasbourg, Toulouse et Lyon. Dans un rapport de force inédit. Les têtes pensantes ne se montrent pas inquiètes. «Tout le monde se dit écolo, surtout à gauche, donc ils ne devront pas avoir beaucoup de mal à soutenir notre projet», lâche avec un petit sourire un député européen.
Torse. Dimanche soir tard, un socialiste au bout du fil. «Le PS revient de l'enfer», dit-il avant de citer les «jolis» scores à Montpellier, au Mans, à Villeurbanne, à Lens et à Rouen. Il n'oublie pas les grandes villes de Bretagne et surtout Paris. Lorsqu'on lui parle des écolos, il laisse un petit blanc. Puis : «Oui il y a une poussée verte, c'est indéniable. Mais souvenez-vous, au début de la campagne des municipales, Jadot disait partout qu'il voulait gagner à Paris, Rennes et Nantes avec un ton arrogant.» Les socialistes bombent un peu le torse. Ils savent que les écolos ont besoin d'eux pour gagner des grandes villes. Et vice-versa. Le PS ne peut pas gagner à Lille, par exemple, sans les Verts. Idem à Montpellier. Un élu PS tente de ramener tout le monde à la bonne hauteur : «Le pays traverse un moment délicat, on va devoir peser nos mots, faire preuve d'humilité et travailler ensemble.» Enfin, si le second tour a bien lieu dimanche prochain…