Consultant en stratégie d'opinion, Stewart Chau est chargé des études politiques et économiques de l'institut de sondages Viavoice. Il estime qu'au-delà de la peur du coronavirus, le taux d'abstention record peut aussi être interprété comme une manifestation «d'incompréhension, voire de mécontentement» de la décision de maintenir ces municipales.
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Quel est le principal enseignement du scrutin ?
Comme attendu, c’est le taux d’abstention faramineux, qui atteint un niveau record, de l’ordre de 56 %. Les annonces d’Edouard Philippe samedi soir, avec le passage au stade 3 de l’épidémie de Covid-19, ont évidemment joué et il est évident que la situation n’était plus exactement la même dimanche que lorsqu’Emmanuel Macron a confirmé jeudi la tenue des élections. Vingt-six millions de Français ne se sont pas rendus aux urnes pour une élection qui, traditionnellement, résiste mieux que les autres au climat de défiance et de désintérêt que l’on constate dans la plupart des consultations électorales.
Que peut-on dire de l’impact de l’épidémie de coronavirus ?
Il aura été majeur, même s’il faudra un peu de temps pour interpréter ces résultats. Il y a trois ou quatre jours, les estimations mesuraient un taux d’abstention important, mais pas à ce niveau. L’accélération de l’épidémie et les annonces du Premier ministre samedi soir ont joué leur rôle.
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Peut-on y voir aussi une forme de sanction de la part des électeurs ?
Il est évident que ces chiffres ne traduisent sans doute pas uniquement une peur exprimée par rapport au virus ou au désintérêt pour la politique. La moitié des Français exprimaient l’idée qu’il y avait un risque à aller voter, ce résultat qui dépasse ces prévisions montre qu’il y a aussi eu une forme d’incompréhension, voire de mécontentement de certains électeurs. D’un côté, on leur dit d’être plus vigilants et qu’il faut adapter très rapidement ses comportements à la crise sanitaire, et de l’autre, on encourage les gens à aller voter en expliquant qu’il n’y a pas de risques plus importants que lorsque l’on va faire ses courses. Ce sont des injonctions très contradictoires qui viennent brouiller le message. De ce point de vue, on pourrait presque affirmer que pour certains électeurs ne pas aller voter a presque été un acte de responsabilité.
Un tel taux d’abstention et un contexte si particulier rendent-ils aventureuses toutes les tentatives de lecture politique des résultats ?
Ce qui est certain, c’est que la lecture des résultats était déjà difficile et qu’elle le sera encore plus dans ce contexte particulier. Cette situation totalement hors normes risque de remettre en cause la légitimité même du vote dans les communes où l’abstention aura été particulièrement massive. Et de ce point de vue, cela aura également des conséquences politiques sur les débats dans les prochains jours, à commencer par la tenue du second tour.