Analyser le jamais-vu, anticiper l'imprévisible : un redoutable défi se pose aux spécialistes du droit, invités à commenter les effets politiques de l'épidémie de coronavirus. La plus grande incertitude entourait dimanche la tenue du second tour des municipales et, partant, la valeur des résultats acquis au premier. Les milliers de maires élus dès le 15 mars, surtout dans de petites communes, conserveraient-ils malgré tout le bénéfice de cette victoire ? Dans les intercommunalités, verrait-on alors siéger côte à côte des édiles à la légitimité neuve et d'autres, élus six ans plus tôt et prolongés dans leurs fonctions ? Quid des dépenses engagées par les candidats, s'il faut rejouer tout ou une partie du scrutin dans plusieurs semaines, voire plusieurs mois ? Les juristes consultés par Libération avouent hésiter à trancher, jugeant que les circonstances l'emporteront sur les textes. «On est à la limite du droit, explique Stanislas François, avocat spécialisé en droit public à Lyon. Je peux fournir des anticipations pour des situations normales, mais là, rien ne l'est. En vérité, les décisions à venir seront politiques dans de telles circonstances. Si elles entraînent une irrégularité en droit, passez-moi l'expression, mais on s'en fout complètement.»
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Rare point d'accord chez ces spécialistes : «En cas de report des élections municipales, le gouvernement n'aura d'autre choix que de convoquer à nouveau les deux tours de scrutin, qui devront se tenir à une semaine d'intervalle», selon l'avocat Thibaut Adeline-Delvolvé. «Les deux tours ne sont pas détachables, d'autant plus si une faible participation au premier portait atteinte à la sincérité du scrutin», estime également le constitutionnaliste Dominique Rousseau. Dans cette hypothèse, pourtant, le sort des maires élus au premier tour reste incertain. «On ne peut pas savoir, le droit applicable ne résout pas la question», avoue de son côté Romain Rambaud, professeur de droit public à l'université Grenoble-Alpes.
Pour ces juristes, l'exécutif aura toute latitude pour régler ces questions dans un futur texte ad hoc. Celui-ci pourra déroger au droit ordinaire en vertu de la jurisprudence des «circonstances exceptionnelles». Etablie durant la Première Guerre mondiale, cette approche reconnaît aux autorités, dans un contexte de crise, des «pouvoirs exceptionnellement étendus afin d'assurer la continuité des services publics», explique le Conseil d'Etat. Jusqu'à les autoriser «à s'affranchir des règles habituelles de compétences et de formes, mais aussi du respect de principes de fond».