Ministre du Budget durant la dernière crise financière, député LR de l’Oise et président de la commission des finances de l’Assemblée, Eric Woerth est habituellement un ferme critique des choix budgétaires du gouvernement. Mais face à la crise, à l’image de son parti, il soutient le projet d’un soutien massif de l’Etat à l’économie.
Est-il alarmiste d’annoncer une crise économique plus grave que celle de 2008 ?
Les conséquences, en tout cas, en seront plus brutales et plus rapides. A l’époque, nous avions une crise du système bancaire, liée au mauvais fonctionnement du système financier. Aujourd’hui, la cause est totalement extérieure à l’économie, et les banques sont plutôt la solution que le problème. C’est une crise qui va commencer par toucher des centaines de milliers de petites entreprises aux petites trésoreries. A part ça, les mesures à prendre sont à peu près de même nature qu’à l’époque. Par exemple, il faut une garantie publique pour le maximum de prêts aux entreprises. Vous avez un problème de trésorerie, vous empruntez 1 000, l’Etat garantit 900. Tout le monde est d’accord là-dessus.
Emmanuel Macron a-t-il raison d’engager massivement l’argent public, «quoi qu’il en coûte» ?
Oui, il a eu raison de le dire, il faut des Canadair qui arrosent l’économie avec beaucoup de liquidités. On va en quelque sorte nationaliser les rémunérations, l’Etat réglant le chômage partiel – mais jusqu’où ? Cela va coûter une fortune, on le paiera pendant longtemps, mais il faut commencer tout de suite. Je le dis avec un peu de difficulté, parce que j’essaie d’avoir un discours raisonnable sur ces questions, mais ne rien faire serait pire que tout, y compris pour nos finances publiques. En 2008, nous avions engagé une trentaine de milliards d’euros en mesures immédiates, il faut quelque chose de cette ampleur-là. Il faudra même sûrement un deuxième plan de relance, un seul ne suffira pas.
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On s’affranchit donc de règles budgétaires dont vous êtes, d’habitude, le premier défenseur.
J'ai un regret : je dis depuis des années qu'il faut reconstituer des marges de manœuvre budgétaire. La croissance était revenue, c'était le moment de le faire. On ne l'a pas fait, et on aborde donc cette crise en situation de faiblesse. En 2008, on est monté jusqu'à 7,5% de déficit budgétaire. Mais à l'époque, la dette ne représentait que 63% du PIB [contre environ 100% aujourd'hui, ndlr]. Et une partie de ce qu'on avait mis dans la banque et l'automobile avait produit des bénéfices. Aujourd'hui, cela n'a aucune chance de se produire.
Face à la crise, votre gouvernement avait augmenté les impôts, supprimant notamment le «bouclier fiscal». Emmanuel Macron doit-il suivre cette voie ?
Non, je ne crois pas qu’il faille émettre de signaux de cette nature. C’est vrai qu’à l’époque, on avait établi une tranche d’impôt sur le revenu à 45%. Mais aujourd’hui, ce n’est pas le moment de chercher à récupérer d’une main ce qu’on donne de l’autre. Il faut construire un pont entre l’effondrement présent et la fin de crise, dans trois, quatre ou cinq mois. On fera les comptes quad la fièvre sera passée.
Jusqu’où ira l’union sacrée autour de ces mesures ?
On est en temps de crise. Je fais mienne la parole du Président lorsqu’il dit qu’il faut faire bloc, et je n’ai aucun doute qu’il fait tout ce qu’il faut faire pour amortir le choc. Le temps n’est pas à la polémique, même si je rappelle que nous aurions eu plus de moyens en rétablissant au préalable notre situation financière. Après, il faudra que les choses soient claires : que les niveaux de dépenses soient bien affichés, que la distribution des aides soit simple et rapide, que les régions, compétentes en matière économique, y soient étroitement associées… Si ce n’était pas le cas, on pourrait faire entendre quelques remarques.
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La Bourse enregistre des pertes historiques. Faut-il la fermer ?
Je ne crois pas. Mais quand les cours s’effondrent, les entreprises deviennent plus fragiles vis-à-vis de la spéculation à la baisse ou de rachats hostiles. Il faut absolument protéger nos entreprises stratégiques. Il faut sans doute, en coordination au niveau européen, interdire les ventes à découvert de certains titres qui encouragent la spéculation à la baisse.
Quelles peuvent être les conséquences politiques de l’épidémie ?
Beaucoup de députés aimeraient voir l'Assemblée fermée. Mais le gouvernement a besoin de textes pour donner un support juridique aux décisions qu'il va prendre, cela nécessite au moins un contrôle parlementaire. On peut peut-être inventer d'autres manières d'en discuter que d'être tous réunis dans l'hémicycle. Sur la réforme des retraites, je pense qu'il faut lever le pied [Emmanuel Macron a annoncé lundi soir sa suspension, ndlr]. Les participants à la conférence de financement ne sont pas sur la même longueur d'onde, ce n'est pas le moment d'engager des discussions qui divisent la nation. Il faut se concentrer sur la lutte contre l'épidémie, et la protection et le sauvetage de milliers d'entreprises.