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Coronavirus

Face à l’épidémie, la République en ordre de marche

Assemblée nationale en petit comité, Conseil interministériel de crise… Le gouvernement, sa majorité et le reste de la classe politique doivent s’organiser pour administrer un pays en «guerre» contre le virus.
(Photo Denis Allard pour Libération)
publié le 17 mars 2020 à 21h16

La République en visioconférence. Emmanuel Macron a présidé mardi son premier Conseil des ministres à l'heure du confinement, adoptant une palanquée de décrets pour adapter la réponse de la France à l'épidémie. Seuls neuf membres du gouvernement étaient présents physiquement à l'Elysée, ceux siégeant au sein du Conseil de Défense, dont le ministre de la Santé, Olivier Véran, assis à gauche du chef de l'Etat. Pour respecter les normes sanitaires visant à faire baisser les interactions sociales, les autres ministres ont participé à la réunion à distance, depuis leurs bureaux. «Nous sommes dans une période d'exception», a fait valoir le Président, au lendemain de sa deuxième allocution télévisée en moins d'une semaine, suivie lundi soir par 35,3 millions de Français - un record absolu d'audience.

«Tension»

En sortant de l'Elysée, le Premier ministre a traversé la rue pour se rendre au ministère de l'Intérieur, et inaugurer le Conseil interministériel de crise (CIC) d'où sera désormais pilotée la riposte contre le virus, confirmant symboliquement le basculement dans le stade 3 : jusqu'alors, c'est le ministère de la Santé qui était aux manettes. Ce CIC est présidé par le Premier ministre, «mais il ne sera pas présent à tous», a précisé son entourage. Entre un chef de l'Etat chef de guerre et un ministre de la Santé qui occupe un rôle remarqué dans la «pédagogie» de cette crise, le Premier ministre doit trouver une place peu évidente. «On doit expliquer ce qu'on fait. Dire qu'il y a de vrais risques, mais rassurer et rappeler que chacun d'entre nous est acteur», souligne un de ses proches. Mardi soir, en duplex depuis Matignon, Edouard Philippe a répondu aux questions très concrètes des téléspectateurs : peut-on aller à un enterrement ? Une entreprise de maçonnerie de trois personnes peut-elle continuer à fonctionner ? Faut-il remplir la nouvelle «autorisation de déplacement dérogatoire» à chacune de ses sorties «exceptionnelles» du domicile ? «Je parle d'abord à la raison : vous devez rester chez vous sauf dans les cas très peu nombreux qui sont autorisés», a-t-il résumé, adepte de l'adverbe «fermement».

Chef du gouvernement veut aussi dire gérer les débuts de polémiques politiques de cette crise. Après l'opposition réclamant le report du premier tour des municipales la semaine dernière, l'exécutif s'est retrouvé empêtré mardi dans une mini-crise autour de propos rapportés d'Agnès Buzyn qui aurait prévenu dès janvier que les municipales ne pourraient pas se tenir pour cause de «tsunami» sanitaire. «Agnès Buzyn nous a dit que si nous étions dans le pic de l'épidémie, alors, les élections seraient difficiles à tenir», a relativisé Edouard Philippe.

«Résurgence»

Au gouvernement, la «guerre» déclarée par le Président lundi soir ne souffre aucune contestation mais certains laissent échapper leur désarroi face à l'ampleur de la crise. «On met la société en tension et on ne sait pas à quel moment on décidera d'en sortir, glisse l'un d'eux. On fait quoi s'il y a une résurgence cet été ? C'est "terra incognita"…» La ruée sur les rayons pâtes des supermarchés de ces dernières heures avant confinement, «c'est de la folie furieuse, commente un autre. Même moi, je dois indiquer à mes collaborateurs que, non, je ne suis pas obligé de stocker des réserves alimentaires dans mon appartement».

Inédit dans sa forme, le Conseil des ministres de mardi a adopté, entre autres, le décret abrogeant la convocation des électeurs pour le second tour des municipales. Un second Conseil des ministres doit exceptionnellement se réunir ce mercredi afin de reporter dans 4 922 communes le scrutin à une date ultérieure, au plus tard au mois de juin. «Idéalement le 21 juin», a précisé la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye. Pour le traditionnel compte-rendu à la presse, un dispositif a été inauguré : la porte-parole du gouvernement et le ministre de l'Intérieur se sont exprimés devant une seule journaliste qui relayait les questions de ses confrères, envoyées par messagerie. Selon Sibeth Ndiaye, Emmanuel Macron a répété devant ses ministres que cette crise imposait de repenser l'organisation des chaînes de production à l'échelle mondiale. Citant l'exemple des industries automobiles et pharmaceutiques européennes, dépendantes de productions chinoises, il a jugé nécessaire de se préparer à «un changement de paradigme», y compris «dans l'utilisation des deniers publics».

Signe que le Covid-19 va impacter profondément la vie politique française, même la droite, d'ordinaire si tatillonne sur les déficits, adhère aujourd'hui à ces propos. «Il faut des Canadair qui arrosent l'économie avec beaucoup de liquidités. On va en quelque sorte nationaliser les rémunérations, l'Etat réglant le chômage partiel», explique ainsi Eric Woerth, président LR de la commission des finances de l'Assemblée. Il faut construire un pont entre l'effondrement présent et la fin de crise, dans trois, quatre ou cinq mois. On fera les comptes quand la fièvre sera passée».

Pour mettre toutes les annonces de l’exécutif en œuvre, le gouvernement doit adopter mercredi un texte l’habilitant à légiférer par ordonnances le temps de la crise du coronavirus. Mais pour des raisons sanitaires évidentes, il n’est pas question de faire revenir à Paris tous les parlementaires alors que l’Assemblée recensait lundi soir 26 cas avérés de Covid-19. A partir de jeudi, l’Assemblée nationale et le Sénat vont donc carburer en mode intimiste. Deux textes vont y être débattus de toute urgence avec l’objectif d’une adoption d’ici la fin de la semaine : un projet de loi de finances rectificative (PLFR) et un projet de loi regroupant plusieurs mesures d’urgence (état d’urgence sanitaire, habilitations pour gérer la situation économique, report du second tour des élections municipales).

Sans public

Réunie en conf-call, la conférence des présidents de l’Assemblée nationale a réduit au minimum la présence des députés présents au Palais-Bourbon. Chacun des huit groupes sera représenté par deux députés et son président de groupe. Qui porteront, par délégation, les votes de tous les membres absents de leur groupe et se chargeront de défendre en leur nom leurs amendements. Une première séance matinale de questions au gouvernement se tiendra dès jeudi à 9 heures, pour une heure : chaque groupe pourra interroger à deux reprises le gouvernement et seuls les orateurs et présidents de groupe pourront y assister. Lesquels seront priés d’entrer et sortir un par un. Des séances publiques… sans public dans un hémicycle nettoyé avant et après chaque débat, des micros désinfectés, et où les distances entre les députés pourront ainsi être respectées.

«Nous serons des soutiens sans faille dans le combat sanitaire», assure le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure qui aimerait cependant que l'Etat fasse plus : «Il faut se mettre en situation d'état d'urgence sanitaire, économique et social. Les premiers gestes à faire, c'est l'abandon définitif de la réforme de l'assurance chômage qui est un désastre humain, et voter au plus vite une loi de finances rectificative qui donne les moyens que réclament les soignants à l'hôpital public, "quoi qu'il en coûte".»