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Coronavirus

Français bloqués à l’étranger : «Plus le temps passe, plus on se demande ce qu’il va advenir de nous»

La pandémie de Covid-19 en Francedossier
Certains se retrouvent sans solution pour regagner l'Hexagone, après les annonces de suspension de vols et les fermetures de frontières pour endiguer la propagation du Covid-19.
A l'aéroport de Lima, au Pérou, dimanche. (Photo Luka Gonzales. AFP)
publié le 17 mars 2020 à 11h42

Les Français actuellement à l'étranger «pourront évidemment rentrer» : Emmanuel Macron s'est voulu rassurant, lundi soir lors de son allocution télévisée, au cours de laquelle il a annoncé la fermeture des frontières européennes pour lutter contre l'épidémie de Covid-19. Un message à l'attention des expatriés mais aussi des ressortissants français en déplacement, pour certains bloqués depuis plusieurs jours dans leur pays de villégiature. Interdiction d'accès aux voyageurs ayant séjourné en France ou en Europe, fermeture des frontières, suspensions des vols à l'arrivée et au départ… Des dizaines de pays (Etats-Unis, Israël, Liban, Maroc, Turquie, Malte, Sri Lanka, Danemark, Autriche…) ont en effet pris des mesures drastiques depuis la semaine dernière, prenant de cours des milliers de voyageurs.

Albane a appris la nouvelle vendredi soir, au milieu du désert jordanien : «On était en plein bivouac, sans réseau. Un Bédouin est venu faire le tour des camps pour nous annoncer que le pays fermait ses frontières», raconte la femme de 28 ans, partie en vacances avec quatre amies. La bande n'avait pas anticipé une dégradation si soudaine de la situation : «Quand on est parties samedi [le 7 mars], il n'y avait aucune contre-indication pour les Français. A l'atterrissage, il n'y a d'ailleurs eu aucun contrôle médical», relève la Parisienne, qui travaille dans la logistique.

Même surprise pour les Français en séjour au Maroc. Le royaume a annoncé au débotté vendredi la suspension de ses liaisons avec la France notamment. «J'ai été un peu optimiste, mais je ne pensais pas être exposé à un risque d'être bloqué ici, expose Pierre, cadre dans une institution publique de 46 ans, qui devait repartir le 22 mars après deux semaines de vacances. Le roi du Maroc a pris tout le monde de court.» Résultat, une ruée vers les aéroports du royaume et des scènes de panique relayées sur les réseaux sociaux.

«Peur au ventre»

Vols annulés, compagnies aériennes injoignables, silence radio des services diplomatiques, formulaires de réclamations restés sans réponse… Les voyageurs contactés par Libération déplorent tous le même manque d'informations. «Le numéro d'urgence de l'ambassade de France au Maroc était injoignable», relate Diane, 26 ans, qui a même tenté de joindre le ministère des Affaires étrangères. Après l'annulation de son retour, la juriste, en voyage seule, est restée plusieurs jours la «peur au ventre de ne jamais pouvoir mettre un pied sur le territoire français». «Ce qui est anxiogène, ce sont les non-réponses, les points d'interrogation», abonde Mireille, 63 ans, confinée avec son mari Thierry dans un hôtel de Lanzarote, aux Canaries. Le couple est sans vol retour depuis que le sien prévu samedi a été annulé. «Easyjet a acté le remboursement du vol, mais pour la suite, rien. Tous les vols sont archi-bookés», explique la sexagénaire originaire de Blois (Loir-et-Cher), qui s'inquiète que le traitement de son mari, qui souffre d'une maladie orpheline, finisse par manquer. «Plus le temps passe plus on se demande ce qu'il va advenir de nous.»

Certains ont été plus chanceux et ont fini, à force de persévérance, à dégoter un billet vers la France. Moyennant souvent une somme conséquente, toujours à leur charge. Albane a ainsi dû débourser 650 euros, le double de son aller-retour initial, pour rentrer de Jordanie. «On s'en est bien tiré, car des billets montaient jusqu'à 5 000 euros», raconte la vingtenaire depuis l'aéroport d'Amman, où elle devait être rapatriée en France avec le dernier avion lundi soir, les vols au départ et à l'arrivée du pays étant ensuite suspendus jusqu'à nouvel ordre. Sarah, qui a vu son vol retour depuis le Chili annulé, a scruté les sites de compagnies aériennes et les comparateurs de vols sans succès. «Je voyais des vols programmés mais, au moment de payer, ça ne marchait pas», explique la trentenaire, qui s'est ensuite rendue directement à l'aéroport de Santiago : «Je voulais parler à un humain, mais tous les guichets étaient automatisés…» C'est finalement son petit ami qui lui a acheté depuis la France son vol retour, pour 1 300 euros. Elle espère pouvoir décoller ce mercredi, mais craint de rester coincée.

Prix «délirants»

«Les billets d'avion étaient à des prix totalement délirants, des compagnies ont profité de la situation», confirmait Diane lundi soir, depuis la zone d'embarquement de l'aéroport de Casablanca. La jeune femme a finalement pu trouver un vol retour en suivant la page Facebook de l'ambassade de France et le compte Twitter de Transavia, sur les conseils de Français rencontrés sur place. La compagnie low-cost annonce des vols au compte-gouttes sur les réseaux sociaux, systématiquement complets en quelques minutes. «Il y a des risques que des gens restent sur le carreau, anticipe Diane. Alors qu'en ce moment la première chose dont on a envie, c'est d'être avec ses proches…»

Pierre, actuellement à Ifrane, dans l'Atlas, a pour sa part opté pour un vol pour Londres, qui doit partir jeudi. Sans certitude de pouvoir rejoindre Paris en Eurostar. «L'Etat français est complètement dépassé, c'est une loterie, premier arrivé, premier servi», juge le quadragénaire, qui dit tout de même essayer de prendre la situation «avec sérénité». Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, se serait entretenu à plusieurs reprises avec son homologue marocain pour résoudre la situation des ressortissants bloqués au Maroc. «Les autorités marocaines ont fait preuve de compréhension et ont donné les autorisations nécessaires pour l'organisation de vols commerciaux de retour», fait savoir une source diplomatique contactée par Libération, qui affirme que, depuis dimanche, une quarantaine de vols commerciaux vers la France ont décollé de plusieurs villes marocaines. D'autres devraient suivre. Pour les Français disséminés dans les autres pays, la même source affirme que les services compétents de l'Etat, les ambassades et les consulats sont «pleinement mobilisés […] pour faciliter leur retour dans toute la mesure du possible».