Aécouter les principaux opérateurs télécoms français, il n'y a pas encore d'inquiétude à avoir. A ce stade, les réseaux de connexion ne sont pas au bord du craquage. «Tout va bien, hormis quelques perturbations sur le mobile lundi», assure un dirigeant d'Orange. La crainte principale : que l'usage, décuplé en période de confinement, d'appels vocaux et de services les plus gourmands en bande passante, pour le télétravail ou le divertissement comme Netflix, Fortnite ou YouTube, provoque des embouteillages et des ralentissements sur les autoroutes d'Internet et les lignes de téléphonie mobile.
Au risque de créer une grande pagaille compromettant l'accessibilité des services indispensables. «Nous sommes conscients d'avoir une immense responsabilité en tant qu'opérateur télécoms et en tant qu'opérateur d'importance vitale. Nous sommes pleinement mobilisés. A date, nous ne constatons aucune congestion», indique Thomas Reynaud, directeur général d'Iliad, la maison mère de Free.
L'entreprise, qui compte 20 millions d'abonnés en France et 5 millions en Italie, est bien placée pour apprécier les effets concrets de la crise du coronavirus. «Nous avons dix jours de recul en Italie. Nous avons tiré les enseignements. Nous nous tenons prêts pour la France», rassure Thomas Reynaud.
«Digne d’un 31 décembre»
Quels changements observe-t-on ? Si les connexions à l'Internet fixe augmentent sensiblement en journée, le pic d'activité reste en soirée, avec une croissance du «trafic mobile de 15 % à 20 %» selon Thomas Reynaud. Une particularité, à l'heure où les interactions physiques entre les personnes sont limitées : la hausse des appels vocaux. «Nous avons eu des pics dans les minutes qui ont suivi les deux allocutions du président de la République, jeudi et lundi. Ils étaient dignes d'un 31 décembre. C'est la même chose en Italie lorsque le président du Conseil prend la parole.»
En Espagne, qui expérimente le confinement total depuis plusieurs jours, «les réseaux connaissent une augmentation du trafic de près de 40 %. L'utilisation des téléphones portables a augmenté d'environ 50 % pour la voix et de 25 % pour les données», a détaillé l'opérateur Telefonica en début de semaine.
Optimiser la qualité de son wifi
Depuis deux jours, des difficultés de connexion existent, ébruitées par les clients sur les réseaux sociaux. Des saturations sur les lignes mobiles, en particulier lundi. «C'est normal, réagit un dirigeant d'opérateur. Tous les jours en temps normal, il y a des problèmes sur les réseaux télécoms. C'est renforcé compte tenu de la situation actuelle. Mais cela se gère, avec du monitoring en temps réel.» «On n'a pas d'inquiétude à court terme» sur une saturation des réseaux, a confirmé Didier Casas, secrétaire général de Bouygues Telecom. «On reste extrêmement attentif, et s'il y a besoin d'intervenir, on est en lien avec les pouvoirs publics».
A la maison, pour améliorer l’accès à Internet, il est recommandé de se brancher sur le wi-fi plutôt que de faire appel à la 3G ou la 4G. L’autorité de régulation des télécoms, l’Arcep, a publié sur son site un guide de bonnes pratiques. La première d’entre elles est d’optimiser la qualité de son wi-fi par quelques gestes simples, comme placer sa box de connexion en hauteur dans une pièce centrale du logement.
Orange, SFR, Free et Bouygues Telecom restent cependant prudents face à l'évolution possible de la situation. «En vérité, c'est à partir de [mardi] après-midi qu'on va se rendre compte de ce qui se passe, lorsque le confinement aura débuté. On pourra tirer de premières conclusions mercredi», fait valoir le dirigeant déjà cité, qui ne veut pas être nommé. Les opérateurs sont techniquement capables de donner la priorité à certains flux. En clair, ils peuvent réserver de la bande passante aux services de télémédecine ou d'éducation à distance, au détriment de Netflix et des sites pornographiques. Idem sur les appels téléphoniques : le 15 du Samu a naturellement le droit à un feu vert permanent. «Nous sommes en lien continu avec les ministères de l'Economie et de la Santé, et l'Arcep, à ce sujet», assure le même dirigeant.
«Hausse continue de la consommation»
«Nos réseaux priorisent la voix et les appels d'urgence, ajoute Thomas Reynaud, le directeur général d'Iliad. Nous n'avons pris aucune action pour prioriser les flux de données Internet, mais rien ne l'interdit. En Italie, nous n'avons pas appelé à des mesures de civisme numérique.»
En France, bon nombre d'élèves n'ont pas pu se connecter aux services pédagogiques en ligne gérés par l'éducation nationale ou des plateformes privées. Un problème de dimensionnement des sites. Comme pour certaines entreprises dont les outils de télétravail sont surmenés, il faudra donc que leur capacité soit augmentée, notamment en passant par celle, en location à la demande, des grands acteurs du «cloud».
Arthur Dreyfuss, président de la Fédération française des télécoms et un des cadres du groupe Altice (propriétaire de SFR et de Libération), prévient que le secteur se tient prêt à des décisions fortes : «Nous ouvrons une nouvelle séquence exceptionnelle qui nous impose d'être réactifs et très attentifs aux évolutions de la consommation. Les pics auxquels nous sommes habitués et préparés vont se transformer en hausse continue de la consommation et ce, sur la longue route. Il ne s'agit pas de gérer pour les prochains jours mais pour les prochains mois.»