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Agnès Buzyn, entre fiasco et états d’âme

Les propos de l’ex-ministre de la Santé, en pleine crise sanitaire et après sa déroute aux municipales, ont choqué au sein de l’opposition, mais aussi du gouvernement.
Agnès Buzyn lors du débat télévisé, le 4 mars. (Photo Marc Chaumeil pour Libération)
par Samira Sedira
publié le 18 mars 2020 à 20h36

«Il n'est pas nécessaire que tu sortes de ta maison. Reste à ta table et écoute» (1) La journée du mardi 17 mars aurait pu commencer par ces deux phrases prémonitoires de l'écrivain Franz Kafka, écrites à une époque où le coronavirus n'avait pas encore fait sa macabre apparition. Reste à ta table et écoute. Car ce premier jour de confinement pour 67 millions de Français fut aussi l'occasion de découvrir dans une interview parue dans le Monde, la confession larmoyante d'Agnès Buzyn, ancienne ministre de la Santé et malheureuse perdante au poste convoité de maire de Paris. Arrivée en troisième position derrière Anne Hidalgo et Rachida Dati, elle risque de se retirer du jeu d'elle-même.

Fin de partie.

Et pourtant, l'ex-belle-fille de Simone Veil en avait rêvé de ce poste. «Paris est un beau mandat» avait-elle confié à Edouard Philippe pour justifier son départ du ministère. Et d'ajouter (à nos confrères du Monde) : «Je me demande ce que je vais faire de ma vie.»

Fin du rêve.

Qu’elle se rassure au moins sur ce point. Nous en sommes tous à secouer notre ennui par-dessus les rambardes de nos balcons… Quand on a la chance d’en avoir un.

Blessure d’orgueil

Dans cette longue confession, Agnès Buzyn revient sur ses regrets et la surdité du gouvernement. Elle assure avoir prévenu Edouard Philippe de la catastrophe à venir. «Je pense que j'ai vu la première ce qui se passait en Chine : le 20 décembre, un blog anglophone détaillait des pneumopathies étranges.» Ce que ne renie pas le Premier ministre qui avoue avoir hurlé avec les loups, alors même que la ministre de la Santé tentait de prévenir l'épidémie. Il explique : «A l'époque, beaucoup de médecins n'étaient pas d'accord avec elle.»

Un fiasco total, quand on sait que les mesures de confinement auraient pu être prises plus tôt. Rappelons que depuis le 24 janvier 2020, la France compte 9 134 cas de Coronavirus Covid-19 confirmés : 264 personnes ont trouvé la mort depuis le début de l’épidémie, et les cas graves (921 sont en réanimation) ne cessent d’affluer aux portes des hôpitaux, rendant infernales les cadences des soignants et soignantes.

L'ancienne ministre insiste également sur sa position face à la tenue des élections : «Si la France en arrive à être touchée par un pic épidémique, alors il se pourrait que les municipales puissent ne pas se tenir. […] On aurait dû tout arrêter, c'était une mascarade.» Ce qui ne l'a pas empêchée de faire campagne jusqu'au bout, et de se rendre, dimanche dans son bureau de vote du Ve arrondissement pour y accomplir son devoir civique… Des contradictions difficiles à comprendre.

Alors quoi ? Qui est responsable dans cette catastrophe annoncée ? Que doit-on pointer du doigt ? Le manque de perspicacité du Premier ministre ? La nonchalance du Président qui, le 7 mars, flânait dans les rues de Paris pour inciter les Parisiens à continuer à aller au théâtre ? La malheureuse désertion d’Agnès Buzyn ? Tout cela à la fois ?

Face aux accusations de cette dernière, les réactions indignées n'ont pas tardé à pleuvoir. Dans l'opposition, Jean-Luc Mélenchon qualifie de «consternants» les aveux d'Agnès Buzyn : «A-t-elle su et prévenu trois mois avant ? Et dans ce cas pourquoi n'a-t-elle rien fait ?» Pour Marine Le Pen, «les propos de l'ancienne ministre sont effarants. Y a-t-il eu dissimulation de la véritable gravité de la situation aux Français ?» Du côté Républicains, Nadine Morano juge cette confession terrifiante. «Elle savait que le tsunami allait arriver et elle n'a pas pris les mesures nécessaires.»

Au sein même du gouvernement, certains réclament des explications. Matthieu Orphelin, le député (ex-LREM), a sans doute eu la parole la plus sensée (bien qu'un poil rudimentaire) : «Notre monde va mal, très mal.» Voilà au moins un point qui ne manquera pas de faire l'unanimité. D'anciens collègues, faisant directement référence à son récent échec électoral, affirment que la blessure d'Agnès Buzyn est une blessure d'orgueil : «Il y a du dépit, une blessure […] et peut-être aussi de la jalousie» alors qu'Olivier Véran, son successeur, est salué pour son efficacité et son énergie.

Barouf étatique

Quoi qu'il en soit, la nuit portant conseil (en ce moment, elles sont longues) Agnès Buzyn fait aujourd'hui machine arrière et dénonce l'utilisation qui est faite de ses propos. L'ancienne ministre «regrette la tonalité de cet article et l'utilisation qui en est [faite] en cette actualité où tout le pays doit être tourné vers la gestion de crise». Elle estime que «le gouvernement a été pleinement à la hauteur des défis pour affronter ce virus». Voilà un extraordinaire retournement de veste qui forcerait presque l'admiration tant il est audacieusement exécuté.

Au milieu de ce grand barouf étatique, c’est à ceux qui, jour et nuit, travaillent d’arrache-pied pour nous sortir de cette terrible épreuve que les Français ont voulu rendre hommage. En effet, à l’appel de nombreux messages postés sur les réseaux sociaux, des centaines de personnes se sont retrouvées mardi soir à 20 heures aux fenêtres de leur appartement ou sur leur balcon (comme quoi, on ne fait pas que s’y ennuyer) pour applaudir, de concert, tous les soignants et soignantes de notre pays. Initiative à réitérer chaque soir. A vos mains !

(1) Dans Réflexions sur le péché, la souffrance, l'espérance et le vrai chemin.