Menu
Libération
Ma vie de confiné

«Ce matin, vu que je n’avais plus de toner, j’ai recopié 10 attestations à la main»

Chronique «Ma vie de confiné»dossier
Chaque jour, «Libé» donne la parole à des confinés, de tout poil, pour raconter leur vie à l’intérieur. Les galères petites ou grosses, les angoisses parfois mais aussi les joies et petits bonheurs imprévus. Chacun d’eux envoie une photo «de dedans», qui symbolise l’humeur du moment.
Chilzic, chien d'un auteur désœuvré au livre qui repose derrière les grilles de librairie fermées. (Photo DR)
publié le 19 mars 2020 à 6h33

Ce mois de mars devait être un feu d’artifice pour Hannelore Cayre : sortie du film la Daronne, l’adaptation de son roman (par Jean-Paul Salomé, avec Queen Huppert dans le rôle-titre), parution de son nouveau roman, Richesse oblige (chez Métailié, comme tous les autres), invitations à divers festivals… Voici comment elle gère la réduction à néant de son agenda, dans sa maison du XIXarrondissement de Paris.

«Au bout d'une minute, je me faisais déjà chier. Hier, donc, à jour 1 + 2 minutes, j'ai consacré une heure à bâtir une forteresse contre l'ennui et la mauvaise humeur à l'aide d'un programme ultraserré sur une semaine : paperasse, bricolage, poussières, tri de chaussettes, boutons à recoudre, 9 saisons de Game of Thrones (eh oui, dans ma vie d'avant, j'ai déjà bingé tout ce qu'il y avait de regardable)…

«Ma liste, elle était comac. Mais c'était sans compter avec le forcené avec lequel je partage ma vie qui malheureusement, lui aussi, a commencé dès l'aube à tourner en rond. «Laisse, je vais faire»… et il m'a arraché le pinceau des mains pour repeindre un mur, qui avait au demeurant à peine besoin d'être repeint. Mon activité n°3 du mardi 17 mars – créneau 13 heures–15 heures ? Il a torché ledit mur en vingt minutes. Bon…

«Après, ça n’a plus arrêté ; hamster pédalant dans sa roue jusqu’à la surchauffe, il m’a niqué mon programme d’une semaine en une demi-journée ne me laissant que les trucs les plus atroces à faire, genre éditer la paperasse pour la comptable. Et tan… tan… tan, rebondissement des familles : plus d’encre dans la cartouche d’imprimante ! Office Dépôt fermé, Amazon en surchauffe… même ça, m’a échappé. Pour ne rien arranger, il a passé le reste de l’après-midi à pousser des hurlements d’hyperactif en cage qui pénétraient de partout. Et qui ont fait que même si notre logement est grand, je n’ai eu d’autre choix que de me confiner dans mon confinement.

Occupation vertigineusement absurde

«Aujourd’hui, jour 2. Si on ne veut pas se foutre sur la gueule pour savoir qui va éplucher une carotte, il va falloir la jouer serré et encore, en cachette. Ce matin, par exemple, vu que je n’avais plus de toner, j’ai recopié 10 attestations à la main pour les mettre dans la boîte aux lettres de ma fille au cas où celle-ci ne saurait plus écrire. Gain : une heure trente d’occupation vertigineusement absurde + une promenade aller-retour de 2x400 mètres avec le canidé. Le prédateur m’a bien tourné autour mais comme il trouvait que ce que je faisais était vraiment trop con, il a lâché l’affaire.

«Cette aprèm, après avoir regardé Minimalism, docu anticonsumériste Netflix de 78 minutes consistant entre autres à composer une garde-robe toutes saisons avec 33 fringues, accessoires et chaussures compris, j'ai vidé tout mon placard sur mon lit. Oh là là, mais c'est que j'y arriverais presque… Putain, mais j'ai rien à me mettre… Et les boutiques sont toutes fermées… Mais que c'est chiant !»