Clément a 27 ans et enseigne habituellement l’anglais dans un collège de Saint-Denis. Lundi, il a pris un train pour rentrer chez ses parents dans le Sud. Il doit tant bien que mal continuer à donner des cours en ligne malgré les bugs et des sites inaccessibles.
«Je ne suis pas allé travailler jeudi et vendredi car je fais de l’asthme et je ne me voyais pas passer quarante minutes dans le RER pour aller au collège. Lundi je suis parti tôt de Paris pour rejoindre mes parents dans le Sud, à Montpellier. Tous les trains étaient complets ou supprimés donc j’ai dû en prendre un pour Clermont-Ferrand, et ils sont venus me récupérer en voiture. Depuis, personne n’est sorti de la maison…
«Je suis avec mes parents, ça fait six ans qu’on ne vit plus ensemble et même si on s’adore, je sais que ça va être compliqué. On a des tempéraments très forts et les tensions apparaissent déjà, mais on a établi des règles claires : pas de télé de 10 heures à 20 heures, on ne reçoit les nouvelles que par les notifications sur téléphone (pour n’avoir que l’essentiel), des moments de silence dans la maison, où chacun est de son côté, etc. On se tient loin, on a chacun nos affaires et on passe très peu de temps dans la même pièce au même moment. Tous les matins, on nettoie l’appart à fond. On reste en contact permanent avec mes sœurs, mes grands-mères, et par les balcons, à travers la rue, on essaye de garder un contact avec les voisins. Même un simple sourire, juste un bonjour, ça fait déjà du bien.
«Niveau boulot, heureusement que j'ai anticipé les bugs de l'Education nationale en ligne car mon ENT [espace numérique de travail, ndlr] et Pronote [logiciel de gestion de la vie scolaire] sont totalement inaccessibles depuis plusieurs jours déjà. J'ai mis, dès samedi, des cours et des devoirs pour les élèves. Je suis bien conscient qu'ils n'arriveront pas y accéder mais je considère que j'ai fait ma part du job. C'est malheureux mais mes collègues et moi (en contact non-stop sur WhatsApp), on savait dès la semaine dernière que les serveurs ne tiendraient pas. On a déjà du mal à faire marcher Parcoursup pour la cohorte annuelle des terminales, alors imaginez pour tous les niveaux… Je pense à mes élèves, qui ont – pour mille raisons valables – déjà des difficultés à être assidus, et je me dis que la catastrophe académique qui se prépare est énorme. Il y aura des leçons à tirer du côté du ministère quand la crise sera passée. Quoi qu'on nous dise, rien n'était prévu, ou alors pas à cette échelle.»