Menu
Libération
Reportage

A Nice, «les gens font mine d’être surpris, il faut les éduquer, c’est pesant»

Dans le quartier de la gare, buralistes, vigiles, taxis et pharmaciens tentent de poursuivre leur activité sans se mettre en danger, malgré des clients parfois peu vigilants.
A Nice, samedi. Rita, taxi depuis six ans, continue de travailler. (Photo Laurent Carré)
par Mathilde Frénois, correspondante à Nice
publié le 24 mars 2020 à 19h56

Derrière le comptoir de son tabac-presse, près de la gare de Nice, Gaëlle n'a pour protection que ses gants. «Ce n'est pas un masque qu'il me faut. J'aurais dû m'habiller en militaire.» Dans son commerce, où il y a aussi un coin PMU-Loto, les clients font mine d'ignorer la pancarte que Gaëlle et sa collègue Sefora ont suspendue au-dessus de la porte d'entrée. «Merci de respecter les écarts entre vous», intime la feuille A4 aux clients.

Le travail des deux Niçoises, ce n'est plus seulement buralistes. Elles font beaucoup de pédagogie. Avec quelques cris. «Basta ! s'emporte Sefora. C'est fermé !» Le client passe tout de même le pas de la porte. «J'appréhende leur réaction. J'ai l'impression que les gens découvrent les choses, ils font mine d'être surpris, constate-elle. Certains toussent même sans mettre la main. Il faut éduquer les gens. C'est pesant.»

«Ça craint»

Juste en face, dans la file d'attente du Monoprix, le mètre réglementaire est bien respecté. Mais ça se bouscule à la sortie. Un attroupement s'est formé derrière la porte vitrée. Agent de sécurité, Lee (1) vérifie les sacs et les tickets de caisse. «On n'a pas de masque, seulement des gants. Ça craint, dit-il. Il est impossible de respecter la distance : les gens se rapprochent tellement pour me parler que je sens leur haleine.» Le soir, dès qu'il rentre chez lui, c'est lavage de mains et douche obligatoire : «Je suis un peu inquiet, surtout que ma compagne est enceinte.»

Vendeuse en boulangerie, Andrea a peur pour sa santé. «Dans ma tête, je suis tout le temps malade. Ma mère m'a expliqué qu'il existe un test. Elle l'a vu sur Facebook : il faut arrêter de respirer pendant dix secondes. Si on a mal à la poitrine ou si on tousse, c'est qu'on a attrapé le virus. Je le fais toutes les dix minutes, raconte-t-elle tout en se rendant compte que son autodiagnostic est douteux. Et tous les soirs, je me mets le thermomètre dans l'oreille.» Andrea est suspendue à la décision de ses patrons : elle restera confinée chez elle si la boulangerie ferme. En attendant, les clients se ruent dans la boutique. «Je suis face à des gens de 16 heures à 20 heures. On a une machine pour le paiement, je ne touche pas la monnaie. C'est déjà ça, dit-elle. On a aussi une vitre, mais les gens se rapprochent.»

«Risques du métier»

La proximité avec les clients, Cyril et Bernard ne pourront jamais la supprimer. Ils sont chauffeurs de taxi. «Je roule les vitres baissées désormais, raconte Cyril. Ça évite d'être trop confiné.» Il vient de déposer des clients à la gare. C'est le moment pour lui de passer le désinfectant. Routine indispensable. «Quand je rentre chez moi je suis seul, c'est l'avantage d'être célibataire, explique-t-il. Mais j'ai un collègue qui n'ira pas dormir chez lui. Il ne veut pas contaminer sa petite fille.» Bernard aussi a le produit désinfectant et le gel dans son taxi. «On est plus exposés mais ce sont les risques du métier», se raisonne-t-il.

Dans sa pharmacie, Elisabeth aussi reste optimiste, malgré les demandes répétées de masques (alors que la rupture de stock est inscrite en lettres capitales sur la baie vitrée) et de rallonges d'ordonnances : «Je reste calme, sereine et de bonne humeur. Ça va aller.» La méthode Coué ? «Ça ne se voit pas, mais je souris sous mon masque.»

(1) Le prénom a été changé.