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Libération
Chronique «vu de l'hôpital»

«J’ai un camion plein de masques… Un don»

Jean-Paul Mari suit au jour le jour le combat d’une équipe médicale dans un hôpital d’Ile-de-France.
Le service d'urgences de l'hôpital Tenon à Paris, le 20 mars 2020. Photo d'illustration (Thibault Camus/Photo Thibault Camus. AP)
publié le 24 mars 2020 à 20h16

L'équipe souffre. Malgré ce grand soleil insultant de bonne humeur. Surtout ceux investis à fond depuis le début de la crise. Lundi, un médecin, colosse surpris à pleurer à chaudes larmes ; un autre soignant, poumons fatigués de gros fumeur, qui sait ce qui l'attend en cas de contamination. Et ce jeune toubib, jovial, compétent dans tous les secteurs, croisé ce matin l'air furieux : «Depuis cette nuit, je tousse comme une vieille femme !» Un dépistage réservé aux soignants présentant un syndrome «grippal» - une centaine lundi - a donné 55 % de Covid positif… Un sur deux !

Lentement, l'hôpital se vide de ses blouses blanches. Les nerfs craquent. La nuit dernière s'est produite une altercation entre un clinicien et un patient, non-Covid mais irritable, pour une histoire de porte vitrée qui tardait à s'ouvrir, une broutille. Soignant à terre, bras en croix, KO. Le scanner n'a rien détecté mais l'homme, très choqué, ne reviendra pas. Un médecin perdu. Aux urgences, des hommes et des femmes au-dessus de la cinquantaine, alignés, masque à oxygène sur le nez. Le responsable annonce : «On va avoir 16 lits d'hospitalisation de plus, dès 16 heures. Bonne nouvelle, non ?» Devant son écran, le contrôleur souffle : «Suffira pas. Regarde la liste d'attente…» En réanimation, plus aucun lit. Il faut envoyer les cas graves à Trappes ou Orléans. On pense transformer le stade proche et désert en hélistation pour les évacuations par hélicoptère.

Alors, quand un petit homme en civil s'est avancé dans le bureau d'un cadre médecin, celui-ci a levé à peine les yeux. Avant de les écarquiller. «J'ai une voiture pleine et un camion qui arrive dans une heure… Un don.» A l'intérieur, 3 000 masques chirurgicaux, 300 autres FFP2, anti-particules, les meilleurs, 100 bouteilles de gel hydro-alcoolique et 400 gants. Une aubaine. Il fait partie d'une association de médecins franco-chinois. Pendant la période noire en Chine, ils ont envoyé 43 tonnes de matériel à Wuhan. Maintenant, les Chinois de Paris et leurs proches au pays se cotisent pour aider les Français. «Ils sont pleins d'enthousiasme, un formidable élan, dit l'émissaire. Souvent ils s'excusent : "Nous n'avons pu réunir que 80 000 euros".»

En Chine, des entreprises tiennent à participer à l'effort. Il est vrai qu'une photo aux côtés du Docteur Na Na vaut toutes les pubs. Adèle Na Na, formée en Chine, spécialiste de médecine interne à la Pitié-Salpêtrière et chargée de l'«Interface médicale sino-française», est une source d'information précieuse de l'expérience chinoise. «Nos amis chinois regrettent l'agressivité des Français dans la rue, dit l'émissaire. Mais ils espèrent faire encore plus. Peut-être un jour prochain vous offrir… un respirateur artificiel.»

(1) Le prénom a été modifié.