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Témoignages

«C’est la psychose, j’ai peur d’aller bosser !»

La pandémie de Covid-19 en Francedossier
Des pompiers partent en intervention auprès d'une personne qui présente des signes de l'infection au coronavirus, le 24 mars 2020 à Paris (FRANCK FIFE/Photo FRANCK FIFE. AFP)
publié le 25 mars 2020 à 15h14
(mis à jour le 25 mars 2020 à 16h34)

Aide-soignant à domicile, préparatrice en pharmacie ou infirmière libérale, ces travailleurs sont toujours à la tâche malgré l’épidémie de coronavirus. Entre débrouille, stress et principe de réalité. Témoignages.

Anne, infirmière dans le secteur de Lingolsheim, commune de l'Eurométropole de Strasbourg, fulmine : alors qu'elle voit 60 patients par jour, «il n'y a toujours pas de masques pour nous. Les camions de livraison et les pharmacies se sont fait braquer, comme les voitures des infirmières. On doit retirer nos caducées. C'est une catastrophe. Un voisin m'a donné trois FFP2. J'ai cherché partout sur le Net des blouses, il n'y a plus rien de disponible, le gel c'est pareil. J'aurais peut-être dû aller voter pour demander des masques au moins…» Manifestement à bout, elle préconise de «tout stopper, les mesures sont insuffisantes, ça va être une hécatombe, j'ai l'impression d'être dans un pays du tiers-monde».

Tout se mêle, rage, stress, appréhension, pour elle-même comme ses patients : «C'est la psychose, j'ai peur d'aller bosser ! J'ai peur de ne pas faire assez bien, de manquer une désinfection dans la multitude de tout ce qu'on touche. J'ai peur pour nos patients. Eux ne s'en sortiront pas. Et moi, si je suis malade, qui s'occupera des patients ?» Anne parle comme quelqu'un au bord du craquage : «C'est une succession d'incohérences, de mensonges, de mépris finalement. Je pense à nous en première ligne, mais on n'est pas les seules ! Les pompiers, les ambulanciers, les caissières… On est déjà épuisées psychologiquement, d'être prises pour des connes depuis des années ! Mais là c'est le coup de grâce !»

Michel, 30 ans, est aide-soignant à domicile. Depuis le début de la crise du Covid-19, il estime que «ce qui a changé surtout, c'est le relationnel : on essaie de rassurer les patients comme on peut pour éviter la psychose, mais ça n'est pas toujours évident». Chaque jour, le jeune homme parcourt les routes de Haute-Saône pour rendre visite à des patients en moyenne octogénaires, dont l'état général est diminué, après un accident vasculaire cérébral par exemple. «Ils regardent pas mal les infos, alors parfois certains blaguent en nous demandant si on a le coronavirus. C'est une manière de dédramatiser. On leur dit qu'on respecte l'hygiène et les normes, mais en réalité, on n'a pas les moyens de les protéger comme il faudrait. Et à domicile, c'est difficile d'être aussi carré qu'à l'hôpital», déplore-t-il. Théoriquement, Michel devrait changer de masque à chaque fois qu'il rend visite à un nouveau patient. «Sur ma tournée de demain, par exemple, ça voudrait dire qu'il me faudrait 10 masques. Or, je n'en ai que 15 pour aller jusqu'à la fin du mois. C'est vraiment la dèche», calcule-t-il, contraint de garder la même protection pendant toute sa tournée. «Nous, les soignants à domicile, on est les grands oubliés, même avant le coronavirus, on ne s'intéresse pas beaucoup à nos conditions de travail», fustige-t-il.

A 34 ans, Clotilde, préparatrice en pharmacie en Haute-Saône«n'a pas trop le choix : il faut bien continuer à travailler». Ce qui ne la ravit pas tout à fait : ces derniers jours, la pharmacie où elle exerce «ne désemplit pas». Renouvellement de médicaments sans ordonnance, tentative de se procurer masques et gel hydroalcoolique (distribués sur liste d'attente dans l'officine où elle exerce)… «C'est la cohue toute la journée», explique la jeune femme qui fait garder ses deux filles par sa famille. Elle et ses collègues se protègent comme ils peuvent : des vitres en plexiglas ont été installées à chaque comptoir pour limiter les contacts avec la clientèle.

Clotilde tente aussi de faire respecter une distance de sécurité entre les clients et le comptoir, et entre les clients eux-mêmes. «Je ne sais pas s'il faudrait qu'on porte des gants, mais si on doit les changer entre chaque client, ça va être compliqué… Théoriquement, la règle voudrait que les pharmaciens portent des masques FFP2, et nous, les préparateurs en pharmacie, des masques chirurgicaux simples, alors qu'on est tout autant au contact de la clientèle», pointe-t-elle. Face à un approvisionnement de protections qui peine à arriver, Clotilde a aussi décidé de coudre un masque en tissu imperméable à l'extérieur et en coton à l'intérieur, qu'elle lave régulièrement. «Ce n'est pas parfait, mais c'est toujours mieux que rien. On est des professionnels de santé, je pense qu'il faut qu'on donne l'exemple.»

Edit, le 25 mars à 16 heures : un témoignage précédemment inséré dans cet article a été retiré, l'intéressée ayant entre temps cessé de travailler.