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Libération
Covid-19

Malgré les dissensions, le privé fait front pour suppléer les hôpitaux

Accusées dans un premier temps par le secteur public de ne pas jouer le jeu, les cliniques se préparent à accueillir leur part de malades.
Prise en charge à l'hôpital de Brest de malades du Covid-19 transportés en avion depuis Mulhouse. (Photo Jean-François Monier. AFP)
publié le 25 mars 2020 à 20h26

Les cliniques privées sont-elles à la hauteur dans la lutte contre l'épidémie de coronavirus ? La question est apparue au fil des jours, alors que par endroits, les hôpitaux publics débordent ou n'en sont pas loin. «Il y a eu un retard à l'allumage du côté de Mulhouse, c'est parti de là, explique Antoine Perrin, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs (Fehap). L'hôpital public a été très touché, et dans le même temps, des lits sont restés vides dans le privé. Nous avons vite alerté, et les choses sont rentrées dans l'ordre en quelques jours.» Il souhaite couper court à toute polémique : «Ce n'est pas le moment.» Il est tout de même furieux de la sortie de Philippe Juvin, chef des urgences de l'hôpital Georges-Pompidou à Paris, qui lundi matin sur France inter, évoquait les «réticences» d'hôpitaux privés à prendre des malades tout en prétendant «jouer le jeu». Antoine Perrin rétorque : «Nous sommes là, mobilisés, depuis le début. Encore faut-il faire appel à nous.»

Cette crise du coronavirus fait resurgir tensions, et a priori entre le public et le privé. Nadia est médecin anesthésiste dans une clinique privée à Toulouse. Cette polémique a eu l'effet de la moutarde qui monte au nez. «On a cessé toute activité non indispensable pour se tenir prêts. Et on attend.» Depuis plus d'une semaine, sa clinique est quasi à l'arrêt. Un peu rude, du coup, de s'entendre dire que le privé traîne des pieds : «J'ai été obligée de mettre au chômage technique mes six infirmières anesthésistes.»

Querelle

Même regret chez Olivier Poher, infirmier anesthésiste à la clinique du Mousseau à Evry (Essonne) : «On tourne au ralenti.» Depuis la semaine dernière, un «drive-test» a été organisé sur le parking de l'établissement pour diagnostiquer des malades potentiels, avec une capacité quotidienne de 100 tests. Mais guère plus… «La clinique n'est pas équipée pour accueillir des malades du Covid-19, mais on pourrait récupérer des patients d'urgences classiques, de la traumatologie au digestif, et alléger la tâche du public. Mais il faut nous envoyer du monde !» lance-t-il. Un sentiment partagé par Christophe Langin, coordonnateur CGT dans le groupe Elsan, un des gros acteurs du privé : «On a vidé des étages complets, mais ils restent vides. Quand on voit des évacuations en avion ou en hélicoptère alors que la clinique d'à côté est disponible, on s'interroge.»

Aujourd'hui, la querelle semble pourtant s'estomper devant l'ampleur de la crise. L'épisode de Mulhouse aura d'ailleurs certainement permis d'améliorer les circuits de communication. Désormais, à Toulouse, tous les acteurs font un point téléphonique hebdomadaire. Qui prend telle et telle pathologie ? Où manque-t-il du matériel ? Depuis mercredi, un «super bed régulateur» a été nommé au sein du CHU et en lien permanent avec le Samu pour mieux exploiter l'ensemble des lits de réanimation disponibles et coordonner public et privé. «L'engagement du privé est exemplaire», salue l'urgentiste Patrick Pelloux, qui juge même que le secteur public n'envoie «pas assez de malades vers les cliniques». Et de formuler une hypothèse : «Peut-être parce que d'habitude, il oriente plutôt des patients pour des problèmes de chirurgie ou cardiopulmonaires, pas pour de la réanimation ?»

«Union»

Désormais, on s’active tous azimuts. Dans les Hauts-de-France, l’Agence régionale de santé (ARS) délivre des autorisations provisoires de réanimation à des établissements qui n’en disposaient jusqu’alors pas. A l’échelle nationale, 4 500 lits en réanimation et soins critiques ont été libérés par le privé ces dernières semaines. Ce qui devrait permettre d’approcher des 20 000 places voulues par le ministre de la Santé, Olivier Véran.

Certaines cliniques, comme le centre cardiologique du Nord, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), sont déjà dans le dur. Thierry Laperche, un de ses directeurs : «On a dédié 26 places aux cas graves. Aujourd'hui, on a 22 patients sous ventilateurs, ainsi que 8 autres dans un état sérieux.» Il envisage d'augmenter cette capacité d'encore une dizaine de lits, mais difficile d'aller au-delà : «Cela réclame beaucoup de personnel et de matériel.» Ce cardiologue se félicite de «l'union sacrée» en vigueur. Même sentiment de «faire front» chez Robert Sigal, directeur général de l'hôpital américain de Paris. D'un service de 8 lits de réanimation en temps normal, il passe ce jeudi à 12 lits uniquement dédiés au Covid-19 (et 4 aux autres pathologies), puis à 18 lits dans les jours qui viennent. Et ce alors que 17 membres du personnel, dont 6 médecins, ont été frappés par le coronavirus…