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économie

Comment la France tente d’amortir la chute

La pandémie de Covid-19 en Francedossier
Dans une note parue jeudi, l’Insee dresse une estimation précise des conséquences de l’épidémie sur l’économie française. Si la récession semble inévitable cette année, l’aide de Bercy devrait limiter les dégâts.
A Paris, jeudi. (Photo Cyril Zannettacci. Vu pour Libération)
publié le 26 mars 2020 à 20h31

«Cette crise, qui touche l'économie mondiale et l'économie réelle, n'est comparable […] qu'à la crise de 1929.» Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, n'hésite plus à convoquer le spectre de la Grande Dépression pour préparer les esprits à la violence du choc qui est en train de frapper l'économie française. Manière de dire que bien plus que la crise financière de 2008, l'épidémie de coronavirus, qui a provoqué la mise à l'arrêt du pays et du reste du monde, s'apparente au séisme qui avait terrassé les économies américaine puis européennes dans les années 30. Un épisode synonyme de récession prolongée et de chômage de masse…

Alors que se multiplient les prévisions les plus noires - la banque américaine Goldman Sachs évoquait jeudi une chute pouvant aller jusqu’à 9 % du PIB en 2020 dans la zone euro avec un déficit public grimpant à 7 % en France -, l’Insee a apporté jeudi un premier éclairage précieux sur l’état de l’économie hexagonale, dix jours après le début du confinement du pays. De quoi mesurer l’ampleur de l’impressionnant coup de frein de l’activité provoqué par la crise sanitaire.

Situation «inédite»

L'économie ne tourne plus qu'à 65 % de sa capacité habituelle, estime l'institut de statistiques, pour lequel l'impact peut être «assez hétérogène» selon les secteurs d'activité : De -89 % dans la construction, le plus touché, à -4 % dans l'agriculture et l'agroalimentaire, en passant par -52 % dans l'industrie et -36 % dans les services marchands. Dans ce dernier secteur, certaines branches continuent de fonctionner à peu près correctement, comme les télécoms, là où d'autres sont extrêmement affectés, bien au-delà de ces moyennes. C'est notamment le cas du tourisme, de l'hôtellerie-restauration ou de l'événementiel, en recul de «90 % à 100 %», comme l'avait déjà indiqué Le Maire.

Avec cette perte d'activité «instantanée» de 35 % par rapport à une période normale, la consommation d'énergie a chuté de 20 % en France. Et les transports sont quasi à l'arrêt : -95 % pour la fréquentation à Paris et Lyon selon l'application Citymapper et 0 kilomètre de bouchon selon Sytadin aux heures de pointe en Ile-de-France, où la qualité de l'air n'a jamais été aussi bonne depuis quarante ans !

Estimant «cohérentes» avec ce tableau les premières remontées d'information sur la situation des salariés (un tiers au chômage technique, un tiers en télétravail et le dernier sur le lieu de travail habituel), l'Insee tente également d'évaluer l'effet du confinement sur la demande. Là aussi, la consommation chute d'environ 35 % par rapport à une période normale. Si certaines dépenses restent fortes, voire augmentent, comme l'alimentaire ou les médicaments (+5 %), d'autres sont en chute libre, comme l'habillement ou les achats de biens d'équipement (automobile notamment), du fait de la fermeture de la quasi-totalité des commerces hors alimentaire.

Comme prend soin de le souligner Jean-Luc Tavernier, le directeur général de l'Insee, cette situation tout à fait «inédite» est appelée à évoluer rapidement en fonction de la situation sanitaire et des mesures prises pour endiguer la propagation de l'épidémie. L'institut de statistiques ne fait ainsi aucune prévision formelle sur l'impact annuel ou même trimestriel sur la croissance. Mais chaque mois de confinement de la population, précise sa note, représente une perte de 3 points sur le PIB annuel. Deux mois de confinement équivaudraient donc à un recul de 6 points du PIB, un chiffre en phase avec les estimations de Bercy et de Bruno Le Maire, selon lequel «chaque semaine, chaque mois de confinement supplémentaire aggrave la situation». En clair, cela veut dire que le pays, qui tablait initialement sur une croissance de son PIB de 1,1 % selon la Banque de France, finira quoi qu'il arrive l'année en récession.

Si l'on retient par la suite l'hypothèse d'une croissance annuelle limitée à 1 % en vitesse de croisière, «il faudrait six ans pour absorber ce choc en l'absence de rattrapage dans les trimestres suivants, réagit l'économiste Patrick Artus, joint par Libération. C'est quand même colossal.» L'analyse de l'Insee montre bien que «le sauvetage de l'économie mis en place ne fonctionnera que si le choc n'est pas trop long», confirme pour sa part Philippe Waechter, chef économiste chez Ostrum Asset Management.

Courbe en L

En prenant à sa charge la plus grande partie de l’activité économique (chômage partiel, garanties sur les crédits et probable annulation d’une grande partie des charges sociales et fiscales), le gouvernement a fait du «zéro faillite» le principal objectif de sa politique. A ce stade, les prévisions d’Euler Hermes, le géant français de l’assurance-crédit, prévoient une hausse de 8 % des faillites en France, ce qui représenterait 4 000 défaillances supplémentaires. Mais sans le filet de sécurité de Bercy, le nombre de faillites aurait bondi de 20 %.

«La France, comme le reste de l'Europe, a opté pour la stratégie de l'open bar, qui n'a rien à voir avec ce qui a été fait en 2008 et a fortiori en 1929, analyse Patrick Artus, selon qui plusieurs leçons ont été retenues du passé. «Nous n'avons plus de problème d'endettement, c'est la BCE qui s'en occupe. Le système bancaire est solide, avec 300 milliards de prêts garantis par l'Etat et les ménages qui, si l'on n'assiste pas à une explosion du chômage, vont rester solvables», résume-t-il. «Le plus grave problème à mon sens, c'est la dette des entreprises. Plus ça durera, plus l'endettement et les faillites vont s'accumuler, prédit-il, les empêchant d'investir et donc à l'économie de repartir.»

Alors que les milieux économiques pariaient au départ sur une courbe de reprise en U, le gouvernement ne croit pas en un redémarrage rapide. «Les Français et les Européens ne vont pas se mettre à racheter des centaines de milliers de voitures du jour au lendemain», a indiqué Bruno Le Maire, même si la consommation semble déjà repartie de plus belle en Chine, notamment dans le secteur du luxe. Difficile également, au moment où le commerce international s'effondre du fait de la fermeture des frontières et de l'arrêt de la production, d'imaginer une reprise rapide des exportations. Or il s'agit du deuxième moteur de l'économie française, contribuant à environ 30 % du PIB national.

Le scénario le plus redouté serait celui d'un scénario de courbe en L, synonyme de stagnation durable en raison «d'une capacité plus faible à endiguer la crise sanitaire», précise-t-on chez Euler Hermes. «A la différence de l'Europe, la crise américaine, où le taux de chômage explose déjà, risque d'être bien plus grave, conclut Patrick Artus, provoquant en cascade une crise bancaire et financière en raison de l'incapacité des ménages à rembourser leurs crédits.» Une crise généralisée qui, pour le coup, donnerait corps à un scénario façon 1929.