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Libération
Témoignage

Coronavirus : «Aide à domicile, j'ai décidé d'exercer mon droit de retrait»

La pandémie de Covid-19 en Francedossier
Par peur pour sa santé et devant les atermoiements de son employeur, Martine a cessé le travail. Elle raconte à «Libération».
Une aide à domicile chez une personne âgée, en Mayenne. (Photo Thomas Louapre. Divergence)
publié le 26 mars 2020 à 17h43

Martine (1), 42 ans, travaille depuis «des années» au sein d'une association (2) qui vient en aide à des personnes âgées ou vulnérables. En tant qu'aide à domicile elle fait les courses, la cuisine et le ménage chez des patients. Face au refus de son employeur de respecter les consignes élémentaires d'hygiène et de sécurité elle a décidé d'exercer son droit de retrait. Libération a recueilli son témoignage.

«Depuis le 15 mars, mes collègues et moi sommes obligées de continuer de travailler si nous souhaitons continuer à toucher notre bas salaire et faire vivre nos familles. Je me rends chez des personnes âgées afin de les assister au quotidien. Malgré les mesures de confinement et les consignes de sécurité, mes collègues et moi traversons Paris en métro pour porter assistance à des seniors. Nos tâches et nos itinéraires restent inchangés. Notre employeur ne nous fournit ni masques ni gants. Je me rends sans protection chez des personnes isolées, fragiles. Dans une ville presque morte, je fais la queue à l’entrée des magasins pour faire leurs courses, puis leur faire à manger. Je prends les transports avec la peur d’être contaminée, de contaminer les autres, de contaminer ma famille en rentrant à la maison.

«J'ai appelé plusieurs fois mes responsables pour obtenir des masques, des gants et du gel hydroalcoolique. Ils m'ont dit qu'ils n'en ont pas. Pendant ce temps mon inquiétude grandit. Celle des patients aussi. Certains annulent les visites. Je me suis également retrouvée à devoir rassurer des patientes inquiètes de me voir arriver chez elles le visage et les mains nues. "Ne rentrez pas chez-moi", crient-elles. J'ai donc contacté les syndicats qui n'ont pas pu faire avancer les choses. Je continue mes réclamations auprès de mes responsables, en ayant l'impression de déranger, de les agacer. Il convient de préciser que la majorité des cadres de l'association télétravaillent. Devant la multiplication des appels, la direction fait un "effort" et propose à chaque auxiliaire de vie deux masques pour se protéger. Je leur explique que deux pauvres masques ne feront pas l'affaire.

«En fin de semaine dernière, un épisode m’a fait prendre conscience que la situation ne pouvait pas durer ainsi. Depuis le confinement, je rends visite à trois ou quatre patients par jour. Entre deux, j’ai été amenée à attendre des heures dans une ville où les magasins sont fermés. Il fait froid, je ne sais pas où aller. Je décide donc de retourner dans les bureaux de l’association pour m’abriter. J’ai dû patienter une heure et demie dans le froid sur un banc avant que la sécurité me laisse me réfugier dans un bout de couloir. À l’issue de la journée je me rends compte que je suis sortie à 9 heures et que je suis rentrée chez moi à 19 heures. Ça ne peut plus durer comme ça !

«J’ai décidé, lundi, d’exercer mon droit retrait pour garantir une sécurité que mon employeur semble incapable de m’offrir. J’ai appelé ma direction pour les informer de ma décision. Mon manager m’a dit que le droit de retrait "est réservé aux seuls fonctionnaires". Sûr de mon fait et des informations glanées, je lui rétorque que non, puis lui envoie un mail notifiant ma décision de ne plus exercer mon métier dans des conditions aussi dangereuses. Malgré leur mécontentement, je leur ai indiqué que je ne reprendrai le travail que si le confinement est levé ou si on met à ma disposition assez de gants, de masques et de gel désinfectant pour me protéger. Depuis mon retrait, d’autres collègues ont suivi, beaucoup ont opté pour l’arrêt maladie.

«J'ai reçu mercredi un mail dans lequel mon employeur "reconnaît ne pas avoir eu le matériel nécessaire compte tenu de la pénurie des masques", annonce mettre à ma "disposition 10 masques par semaine" et m'annonce que mon "droit de retrait ne sera plus valable à partir du 27 mars date de la prochaine distribution de masques", sous peine de sanctions. J'estime que 10 masques par semaine, ne suffisent pas pour assurer ma protection quand on sait que la durée de vie d'un masque est de 4 heures. Le mail ne fait pas mention non plus de gants, ni de gel désinfectant. Le dernier message officiel reçu est un texto faisant état d'une distribution de 5 masques par semaine… Je suis consternée.»

(1) Le prénom a été modifié.
(2) Le nom de la structure n'est pas précisé afin de protéger la personne qui témoigne.