La tête encore hors de l'eau, mais pour combien de temps ? Après le Grand Est, c'est au tour des hôpitaux d'Ile-de-France de batailler pour ne pas être submergés par le Covid-19. «On a encore pied, mais les vaguelettes s'intensifient et nous font boire la tasse», résume Stéphane Gaudry, professeur de médecine intensive réanimation à l'hôpital Avicenne de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Selon les derniers chiffres transmis aux hospitaliers franciliens ce dimanche soir, 154 lits de réanimation sont encore disponibles, pour une région qui comptabilise 1 694 malades du Covid-19 dans ses unités de soins lourds (soit une hausse de 170 admissions en vingt-quatre heures). Au total, cela correspond à un peu plus d'un tiers des 4 632 malades graves en France, selon les données actualisées par le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon.
«Notre état d'esprit est combatif et nous permet tous les jours d'ouvrir de nouveaux lits. Partout, dans chaque service de chaque établissement, les professionnels de santé font des efforts exceptionnels qui aboutissent à des petits exploits», souligne le professeur Gaudry. Dans son hôpital d'Avicenne, les huit lits de réanimation dédiés initialement aux malades atteints de Covid-19 sont passés à 32 en l'espace de deux semaines. «Nous venons d'en ouvrir encore quatre hier soir, deux aujourd'hui, et on tentera d'en ouvrir deux demain.» Il ajoute : «Parfois, on est au fond du gouffre, on a l'impression qu'on n'y arrivera pas. Mais trois heures après, on a trouvé comment gagner un nouveau lit et ça nous regonfle d'espoir. Nous sommes dans une course longue distance, certains moments sont et seront durs. Mais il faut tenir bon jusqu'au bout.»
«Foyer épidémique»
La situation en Ile-de-France, à la limite de l'apnée, risque de se propager dans les autres hôpitaux français. Le gouvernement le sait et a tenté de rassurer, samedi, lors de sa conférence de presse, en indiquant vouloir faire passer la capacité totale des établissements de santé à 14 000 lits en réanimation pour le mois d'avril - leur nombre est déjà passé à 10 000, contre 5 000 habituellement. Mais l'inquiétude reste massive. En Corse, par exemple. Classée «foyer épidémique» depuis le 8 mars, l'île voit depuis une dizaine de jours son nombre d'hospitalisations grossir : d'un seul patient hospitalisé au 19 mars, il a atteint 108 ce week-end. Or, ce territoire est sous-doté en lits de réa et a déjà eu besoin d'un premier transfert de 12 malades vers Marseille dimanche dernier, par porte-hélicoptères de la marine nationale. Cette bouffée d'air a permis de vider temporairement les unités équipées de respirateurs lourds : une semaine plus tard, Ajaccio compte encore 9 lits de réanimation inoccupés sur les 26 disponibles et Bastia peut accueillir une quinzaine de patients très graves. Mais comment tenir plusieurs semaines ? Un infirmier de l'hôpital d'Ajaccio : «Tout ce que je sais, c'est qu'on se battra aux côtés des malades jusqu'à la résolution de cette crise, même au risque de nos propres vies.»
«Notre devoir»
Dans le reste de la métropole, les transferts interrégionaux se multiplient. Qu'ils soient logistiques ou humains - les soignants «de l'Ouest» affluent en renfort «vers l'Est» et deux nouveaux TGV médicalisés ont transporté, ce dimanche, 36 patients en réanimation de Nancy et Mulhouse vers la Nouvelle Aquitaine : dans cette région, on comptait vendredi encore 188 lits de réanimation disponibles sur les 561 places déployées. Par ailleurs, 40 malades de Bourgogne-Franche-Comté sont en cours de transfert vers la région Rhône-Alpes-Auvergne, principalement aux CHU de Grenoble et de Clermont-Ferrand. La Normandie, elle, commence à accueillir des malades d'Ile-de-France.
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A Rouen, le CHU vient d'admettre dans son service de réanimation six patients venus des Yvelines et du Val-d'Oise. «Les hôpitaux saturés doivent pouvoir se décharger sur les autres, c'est notre devoir d'assurer cette gymnastique», dit Guillaume Laurent, son directeur général adjoint, qui pilote la cellule de crise. Dans son établissement, les places dédiées aux cas les plus lourds ne sont occupées qu'à 50 % : «Nous avons 60 lits en réanimation et nous pourrons monter jusqu'à 140. On a beaucoup de chance par rapport à nos collègues de l'Est et de l'Ile-de-France, car nous avons du temps supplémentaire pour nous préparer. Notre plan de montée en charge est prévu à la journée près. Le retour d'expérience des semaines écoulées nous a fait comprendre qu'il fallait être très disciplinés, avec une organisation ultradétaillée.»
Olivier Bossard, directeur général au CH du Mans, partage ce constat. Son service de réanimation, qui a déjà accueilli 4 malades du Grand Est, ne peut être mieux préparé. Mais il met en garde : «Les Pays de la Loire étaient jusqu'ici un peu protégés. Mais on commence à sentir la pression depuis ce week-end. Je pense que notre capacité à recevoir des patients extérieurs à notre région va être de courte durée.» Cette observation fait écho à la sonnette d'alarme tirée samedi par l'Association des médecins urgentistes de France dans un communiqué : «La solution ne peut pas être de multiplier les trains sanitaires à travers le pays qui mobilisent des moyens matériels et humains disproportionnés par rapport au nombre de malades concernés. Pour gagner une guerre, il faut une économie de guerre.» Et donc amplifier la production de masques, de respirateurs, de médicaments, pour que l'ensemble des hôpitaux puissent faire face. «N'acceptant pas la perte de vie humaine au titre d'un manque économique ou logistique, nous exigeons des pouvoirs publics de mobiliser le monde industriel dans la guerre contre le Covid-19», a alerté le même jour la Société de réanimation de langue française.