Les hospitaliers prennent les choses en main. Las de réclamer en vain le renouvellement des stocks de matériel nécessaires pour faire face à la pandémie, ils multiplient les initiatives susceptibles de leur permettre de pallier eux-mêmes leurs besoins. Une ambition que l’impression 3D met à portée de main. Vendredi, sur Twitter, le chef du service des urgences de Georges-Pompidou, le professeur Philippe Juvin, s’est félicité du résultat de sa collaboration avec le centre de recherche de l’Inserm, situé sur le site de l’hôpital. Lequel a fait tourner ses imprimantes 3D pour équiper les urgentistes de visière de protection en plastique couvrant le visage… De même, un prototype de respirateur artificiel d’urgence, lui aussi fabriqué par impression 3D, est actuellement testé à l’hôpital Henri-Mondor (Créteil) et à la Pitié-Salpêtrière, histoire de savoir si cette nouvelle technologie pourrait dans les jours et semaines qui viennent permettre d’augmenter le nombre de respirateurs dans les services d’urgence et de réanimation des établissements faisant face à l’afflux de patients Covid-19.
Abbaye. Forte de ces expériences et sous pression de la pandémie, l'AP-HP s'apprête à leur donner une tout autre ampleur. Vendredi, le directeur général de l'AP-HP, Martin Hirsch, a donné son feu vert au projet que lui ont présenté le docteur Roman Khonsari, chirurgien à l'hôpital Necker, et une cinquantaine de médecins hospitaliers, ingénieurs, développeurs et entrepreneurs. L'idée ? Se doter d'un parc d'imprimantes 3D de sorte à pouvoir fournir à la demande, et à moindre coût, le matériel nécessaire aux soignants d'Ile-de-France, mais qui manque cruellement aujourd'hui : visières, pousse-seringues électriques, matériel d'intubation, masques, valves de respirateurs, etc. «On va disposer d'une véritable usine interne à l'AP-HP, ce qui est unique en Europe, se félicite le docteur Khonsari. Grâce à la mobilisation de l'administration hospitalière, on a réussi à lancer en dix jours un projet qui, en temps normal à l'AP-HP, aurait mis deux ans à aboutir.»
Concrètement, en s’appuyant sur les dons reçus ces dernières semaines, la Fondation AP-HP va investir 2 millions d’euros dans l’achat de 60 imprimantes 3D Stratasys, cinq ingénieurs de la start-up Bone 3D vont assurer leur maintenance et aider à la conception des projets pendant quatre mois. Lundi, ces machines high-tech étaient en cours d’acheminement depuis Stuttgart.
Pour déployer son nouveau parc 3D, l'administration hospitalière a cherché un lieu remplissant un cahier des charges précis : une surface de 150 m2, aérée pour éviter la surchauffe des machines, et contenant 60 prises. Dimanche soir, son choix s'est porté sur la salle capitulaire de l'ancienne abbaye de Port-Royal, intégrée dans l'hôpital Cochin.
En parallèle, le site 3dcovid.org a été lancé lundi afin de répertorier les projets en cours et recueillir les demandes du terrain. «En ce moment, il y a des initiatives tous azimuts dans les hôpitaux, indique le docteur Khonsari. Chacun se débrouille de son côté sans trop savoir ce que fait le voisin. Cette nouvelle plateforme va nous permettre de mieux cerner les besoins des hospitaliers, de répertorier leurs initiatives et éventuellement de rapprocher les équipes de concepteurs de prototypes. Cela permettra à l'hôpital public de gagner un temps considérable.»
Pour éviter que l’urgence sanitaire ne couvre un grand n’importe quoi, une commission composée de professionnels de santé et d’ingénieurs devrait sélectionner les projets de conception les plus pertinents, technologiquement et sanitairement parlants. Ainsi, la fabrication de pièces sensibles comme les valves de respirateurs devra être validée par un collège composé de praticiens, d’ingénieurs, d’experts de l’Agence générale des équipements et produits de santé (Ageps) et de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS).
Conception. Des dispositifs de protection (visières, poignées de porte sans contact), dont la conception est d'ores et déjà aboutie grâce à la collaboration d'industriels comme Renault, Dassault, Michelin et Air Liquide, devraient être fabriqués à partir de ce mardi, à raison de plus de 5 000 pièces par semaine. De fait, en attendant que ses 60 imprimantes 3D soient livrées et installées, l'AP-HP a obtenu que lui soient prêtées deux grosses machines similaires pour démarrer la production. Avec à la clé, l'espoir d'améliorer rapidement la sécurité des soignants et les conditions de prise en charge des patients.