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Témoignages

«J’étais obnubilé par toute sensation de fièvre, de toux ou mal de tête»

La pandémie de Covid-19 en Francedossier
Une fenêtre ornée d’autocollants dans le XIVe arrondissement de Paris, le 24 mars. (Photo Riccardo Milani. Hans Lucas)
publié le 30 mars 2020 à 19h41

Après deux semaines d’enfermement, l’impact psychologique du confinement commence à se faire sentir. Quatre personnes témoignent.

Chantal (60 ans), projectionniste «On doit apprendre à s'ennuyer»

«Ça fait du bien, ce confinement. Plus besoin de faire des kilomètres pour aller bosser. Depuis que les cinémas ont dû fermer, je suis en chômage technique. Franchement, ça ne me dérange pas de rester chez moi, étant déjà assez casanière, même si j’aime les grands voyages. Je savoure la campagne dans laquelle j’habite et ce début de printemps. J’entends beaucoup moins passer de TGV au bout de mon jardin. Mais très bien les oiseaux que j’observe à la jumelle. Les jonquilles, le prunier, le mirabellier, les tulipes sont en fleurs… Je me reconnecte à la nature. Et puis, il y a ce sentiment agréable que ce que je ne veux pas faire aujourd’hui, je le ferai peut-être demain. J’en profite aussi pour m’occuper de mon corps. Le soir, avant, je rentrais très tard. Là, je prends le temps de faire des nettoyages de peau, des gommages, des masques… Je suis en train de finir tous mes échantillons. Je me bichonne. Le matin, je prends mon temps. Je ne me lave plus tous les jours. On se lave trop. Là, je laisse respirer mon corps. Et puis je lis, je finis mes jeux vidéo. Du moins j’essaie, car mes neveux ne passent plus pour me "débloquer". Je ne m’ennuie pas. Ou un peu, mais comme les enfants, on doit apprendre à s’ennuyer. La seule chose que je me suis fixée, c’est de regarder le moins possible la télé. En tout cas, jamais l’après-midi. De toute façon, il n’y a plus de sport. Et c’est la seule chose qui me manque…»

Joseph (31 ans), avocat «L'hypocondrie n'aide vraiment pas»

«Mon partenaire et moi, on a décidé de rejoindre notre résidence secondaire au Pays basque, avant même que le confinement soit ordonné. De nature (très) anxieuse, j’ai senti le vent tourner assez rapidement et j’ai préféré partir dans notre maison avec jardin. Avant cela, étant asthmatique, j’ai dès début mars privilégié le travail à la maison et limité mes interactions sociales. Je travaille du mieux que je peux à distance, je lis, je regarde des séries et joue à des jeux vidéo… En fait, le plus difficile pour moi, c’est la gestion du stress lié au virus : le moindre objet touché, les denrées alimentaires provenant de l’extérieur… Quand j’entends "Covid-19", ça fait écho avec le mot "mort". Cette épidémie nous renvoie à l’essentiel : nous face à la mort. Le traitement médiatique et les informations en surnombre augmentent la sensation de danger, du coup j’ai décidé d’arrêter de scruter le décompte des malades et des morts, pour ma santé mentale. Pendant deux semaines, je surveillais mon thermomètre pour déceler toute température au-delà de 38° C. Je ne pensais qu’à ça. J’étais obnubilé par toute sensation de fièvre, de toux ou mal de tête. J’en suis arrivé à un point où je m’autodéclenchais tous les symptômes du virus. Des crises d’angoisse sont apparues et je n’arrivais plus à m’en sortir. Je me disais que j’avais contracté le virus et que c’était la fin. L’hypocondrie n’aide vraiment pas dans ce cas-là. C’est un cercle vicieux. Puis le temps passe et on s’habitue à vivre avec cette angoisse latente.»

Sophie (30 ans), acheteuse dans la mode «J'avais envie de me couper des gens»

«Je travaille, enfin je travaillais, pour un grand magasin parisien au département achat. Depuis une réorganisation au sein de l’entreprise, j’avais de plus en plus mal au ventre et une immense difficulté à me lever. Deux jours avant l’annonce officielle du confinement, je me suis enfermée chez moi. Comme si j’avais hâte. Au départ, j’étais un peu angoissée : est-ce que j’allais devoir télétravailler ? Poser des congés ? Mais on m’a mise au chômage partiel et depuis, je vis ma meilleure vie !

«Ce confinement est bien moins compliqué pour moi que pour d’autres, j’ai une situation hyper favorisée, bien au chaud dans mon petit studio. Et puis j’avais vraiment envie de me couper des gens, de me recentrer sur moi-même et sur ce que je voulais faire. Je suis quelqu’un d’assez solitaire, je ne m’ennuie jamais toute seule. Le matin, depuis qu’il y a moins de circulation, quand je me réveille et que je prends mon petit déjeuner tranquillou, je peux même entendre les oiseaux. J’ai l’impression d’être en vacances chez mes parents en Normandie… mais en version relaxante.

«Les journées passent plutôt vite, je suis mes envies sans pour autant me laisser aller. J’adore cuisiner et pour une fois, j’ai le temps. Je fais aussi de la couture, du rangement, je lis… Et puis avec Internet, tout est possible. Je me suis acheté un vidéoprojecteur, je regarde plein de films. Il y a aussi l’Opéra de Paris qui diffuse gratuitement ses spectacles. C’est une occasion en or pour moi qui souffre souvent d’un complexe d’infériorité.»

Marine (34 ans), responsable com «J'avais peur d'être livrée à moi-même»

«Je suis atteinte d’un trouble de la personnalité borderline, et je suis hyperphage et boulimique. L’annonce du confinement a suscité beaucoup de questions dans ma tête : je pensais à faire des stocks de nourriture pour gérer mes crises, en même temps je culpabilisais parce que pour ça, il fallait que je ressorte de chez moi, et parce que ce serait autant de denrées que n’auraient pas les autres. Qui plus est, se retrouver seule avec soi-même, peu vêtue, avec les bourrelets qui se touchent, accroît la conscience de son corps. Ce qui me faisait peur, c’est d’être bloquée à la maison, livrée à moi-même, parce que c’est souvent là que la compulsion arrive. Je suis en charge de la com d’une chaîne de sex-shops, du coup je suis au chômage partiel. Télétravailler n’aurait rien changé parce que j’arrive à m’occuper, en faisant du tri dans mes vêtements, en sortant mon chien ou en prenant l’air dans le jardin.

«Cette situation inédite est vraiment anxiogène, alors j’ai décidé d’être indulgente avec moi-même. Et pour l’instant, ça va plutôt mieux que ce que je pensais. J’ai créé un groupe Facebook privé d’entraide pour personnes atteintes de troubles du comportement alimentaire : 500 personnes l’ont rejoint. Il y a des gens qui n’arrivent plus du tout à manger, d’autres qui font des crises en permanence, d’autres encore qui sont confinés avec des proches ou des parents pas au courant de leurs troubles. Et comme souvent la crise se fait en solo, être confiné à plusieurs rend les choses compliquées.»