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Covid-19

«Je désinfecte les poteaux car les papys et mamies aiment bien s’y appuyer»

La pandémie de Covid-19 en Francedossier
A Nice, comme dans plusieurs autres villes françaises, des opérations de désinfection des rues par vaporisation ont été lancées. Sans utilité sanitaire avérée. Mais les élus mettent en avant leur dimension rassurante.
Dans le quartier de l'hôpital l'Archet, à Nice, une équipe d'agents de la propreté désinfecte puis rince le mobilier urbain et les trottoirs. (Laurent Carré/Photo Laurent Carré pour Libération)
par Mathilde Frénois, correspondante à Nice
publié le 30 mars 2020 à 17h18

Mal réveillé, on pourrait penser au tournage d’un film catastrophe. Ou à une opération de désamiantage qui s’éternise. Sur le bord de la route, Loïc porte une combinaison intégrale blanche, avec capuche, gants et masque. Cet agent de la propreté a le réservoir du pulvérisateur dans le dos. Il actionne la pompe d’une main et tient la lance de l’autre.

Depuis 5 heures ce lundi matin, Loïc désinfecte les rues de Nice. Il vient de s'attaquer à celle qui longe l'hôpital l'Archet où sont pris en charge les malades du Covid-19. «Si chacun fait sa petite part, peut-être qu'on pourra éradiquer le virus, espère Loïc, 46 ans dont dix-sept passés à la propreté. Il y a 71 km² à Nice, je ne suis pas rendu.» C'est pour cela que la ville a décidé de «faire du saute-mouton entre les endroits stratégiques, explique le directeur de la propreté, Laurent Calatayud. On désinfecte trois fois par semaine devant les petits commerces, les pharmacies, les hôpitaux, les Ehpad. C'est important de dire qu'on est encore là. Ça rassure.» Nice a été la première grande ville à sortir l'artillerie lourde : depuis jeudi, ses employés désinfectent 310 sites éparpillés sur la commune.

Loïc asperge les trottoirs, les passages piétons, les panneaux de signalisation. Il insiste quand il croise une poubelle ou un banc. Un travail de fourmi. «Je passe là où les gens posent leurs chaussures et leurs mains, commente l'agent entre deux pulvérisations. Je fais les poteaux car les papys et mamies aiment bien s'appuyer pour marcher. Je désinfecte les arrêts de bus où les gens regardent les horaires de près. Le problème, c'est que c'est sans fin. Mais il vaut mieux faire ça que rien.» Loïc remet un jet sur une rambarde. Au cas où.

Dans le quartier de l’hôpital l’Archet, une équipe d’agents de la propreté de Nice désinfecte puis rince le mobilier urbain et les trottoirs.

Photo Laurent Carré pour

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«C’est histoire de rassurer les gens»

«Est-ce utile ? Je ne le pense pas. Il n'y a aucune preuve d'un intérêt quelconque, tranche Pierre Dellamonica, ancien chef de service des maladies infectieuses du CHU de Nice et professeur émérite à l'université Côte d'Azur. Une fois qu'on a désinfecté, une personne va repasser derrière. Si cette personne est infectée, elle contamine le lieu. Il faudrait recommencer l'opération à chaque passage. Cette initiative, c'est histoire de rassurer les gens, de montrer que l'on fait quelque chose.» Un point de vue partagé par un autre infectiologue (1), interrogé par Libération : «Intuitivement, je dirais que c'est ridicule et démagogique», estime-t-il. «C'est plutôt une mesure politique» juge un hygiéniste (1) d'un établissement de santé. Dans la lutte contre le Covid-19, le coup de propre se serait-il transformé en coup de com ? «C'est mieux que de ne rien faire et de rester passif. Je n'ai pas la prétention de protéger la population. Mon ambition, c'est de rassurer, se défend Pierre-Paul Léonelli, adjoint au maire de Nice délégué à la propreté. On a pour objectif de ne pas être immobile, de minimiser les risques et d'être opérationnel avec les outils dont on dispose. On désinfecte dans la mesure du possible.»

Une légère odeur de Javel plane au-dessus du trottoir. Le produit que pulvérise Loïc est composé de 0,1% de chlore, «de la javel très très diluée» selon l'élu. La même technique est utilisée à Cannes. A Antibes, les agents pulvérisent un «bactéricide désinfectant 100% biodégradable». A Menton, un «produit virucide». Des actions similaires sont menées à Marseille, Suresnes, Agde ou Reims. Tour à tour, les villes passent à l'action pour tenter d'éradiquer ce virus, capable de rester plusieurs jours sur une surface. «Toutefois, ce n'est pas parce qu'un peu de virus survit que cela est suffisant pour contaminer une personne qui toucherait cette surface. En effet, au bout de quelques heures, la grande majorité du virus meurt et n'est probablement plus contagieux, explique-t-on pourtant sur le site du gouvernement. Pour rappel, la grande transmissibilité du coronavirus Covid-19 n'est pas liée à sa survie sur les surfaces, mais à sa transmission quand on tousse, qu'on éternue, qu'on discute ou par les gouttelettes expulsées et transmises par les mains.» Peu probable donc d'être contaminé en marchant dans les avenues de Nice ou d'ailleurs. Plutôt qu'une désinfection des rues, Pierre Dellamonica prône «l'incitation à respecter le confinement». L'hygiéniste recommande de «concentrer les désinfections sur ce que l'on touche avec les mains, notamment dans les transports en commun et dans les hôpitaux où sont pris en charge les malades atteints par le Covid-19».

Dans le quartier de l’hôpital l’Archet, une équipe d’agents de la propreté de Nice désinfecte puis rince le mobilier urbain et les trottoirs.

Photo Laurent Carré pour

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Devant le CHU de Nice, Loïc et son pulvérisateur ont remonté la rue. Ils s'attaquent désormais au trottoir et au portail d'un Ehpad. Après quinze minutes de pause, le produit est rincé à grande eau. L'équipe peut alors partir sur l'un des 310 lieux à désinfecter. Les agents reviendront ici dans trois jours. «On réfléchit déjà à la fin du confinement», anticipe Pierre-Paul Léonelli. La ville de Cannes l'a déjà décidé : elle mènera «une phase massive [de désinfection] de l'intégralité des rues de toute la commune en fin de confinement».

(1) Ces interlocuteurs s'expriment anonymement car leurs établissements ne souhaitent pas communiquer sur le sujet.