La tragédie, qu’elle soit intime ou collective, est souvent un révélateur : impossible, avant d’y être confronté, de savoir comment on réagira. Certains s’effondrent, d’autres redoublent de combativité, certains s’isolent, d’autres multiplient les connexions sociales. Il n’y a aucune règle, chacun fait comme il le peut, avec les moyens dont il dispose.
«Film d'horreur», «cauchemar», «irréel» : ce sont des mots qui reviennent souvent ces temps-ci, comme si le cerveau peinait à accommoder la situation actuelle au réel. D'où l'angoisse, quand on comprend que l'on ne s'est pas endormi devant une série télé ou un film d'anticipation, quand on ouvre sa fenêtre et que l'on (re)découvre les rues désertes, comme frappées par une bombe à neutrons (qui tue les hommes mais préserve les infrastructures). Il n'est d'ailleurs pas anodin que les réseaux sociaux et les conversations téléphoniques regorgent de recettes de cuisine et d'images de plats : si l'on ne peut plus toucher, on peut manger, occupation facile et agréable qui nous ramène à la réalité et apaise nos angoisses. Car celles-ci vont crescendo, rythmées par la litanie des chiffres des contaminations et des décès. Et le pire, ce ne sont pas ces chiffres, mais le plongeon dans l'inconnu, l'impossibilité de nous projeter dans un avenir proche. Si même les scientifiques ne savent pas, alors à qui se référer, à qui se fier, à qui s'en remettre ?
Il nous reste l'autre ou les autres, tous logés à la même enseigne : le voisin, proche ou de l'autre côté de la rue, qui devient familier ; les personnes âgées que l'on négligeait et dont on prend soudain des nouvelles plus souvent ; l'inconnu(e) qui poste sur des réseaux sociaux redevenus fréquentables une vidéo qui nous fait hurler de rire ; et surtout ces soignants que l'on célèbre chaque soir en chœur à 20 heures. Voilà qui recrée du collectif là où on l'avait perdu. Dans cette crise, c'est ça qui nous tient.